Des experts mondiaux identifient les principales solutions possibles. Une collaboration inédite entre scientifiques sélectionnés par l'IPBES et le GIEC, à laquelle ont participé deux chercheurs de l'IRD. 
 

Des changements sans précédent du climat et de la biodiversité, induits par les activités humaines, menacent de manière synergique et croissante la nature, les vies humaines, les moyens de subsistance et le bien-être dans le monde entier. La perte de biodiversité et le changement climatique sont tous deux induits par les activités économiques humaines et se renforcent mutuellement. Ni l'un ni l'autre de ces problèmes ne sera résolu avec succès si on ne les aborde pas conjointement. C'est le message d'un rapport d'atelier, publié aujourd'hui par 50 des plus grands experts mondiaux de la biodiversité et du climat?Deux chercheurs de l'IRD ont participé à l'élaboration de ce rapport : Yunne Shin (UMR MARBEC) et Thierry Oberdorff (UMR EDB).

Le rapport de l'atelier qui a fait l’objet d’une évaluation par des pairs est le fruit d'un atelier virtuel de quatre jours réunissant des experts sélectionnés par un Comité directeur scientifique de 12 personnes constitué par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) et le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) – marquant ainsi la toute première collaboration entre ces deux organismes intergouvernementaux.

Le rapport constate que les politiques précédentes ont eu tendance à traiter la perte de biodiversité et le changement climatique de façon séparée et que c’est plutôt en abordant les synergies entre l'atténuation de la perte de biodiversité et du changement climatique, tout en tenant compte de leurs impacts sociaux, que l’on pourra maximiser les avantages et atteindre les objectifs de développement mondiaux.   

« Le changement climatique causé par l'homme menace de plus en plus la nature et tout ce qu’elle apporte à l’humanité, notamment sa capacité à contribuer à atténuer le changement climatique. Plus le monde se réchauffe, moins la nature peut, dans de nombreuses régions, nous fournir la nourriture, l'eau potable et d'autres ressources essentielles à nos vies », a déclaré le professeur Hans-Otto Pörtner, coprésident du comité directeur scientifique. 

« Les évolutions de la biodiversité, quant à elles, ont un effet sur le climat, avec notamment des impacts sur les cycles de l'azote, du carbone et de l'eau », a-t-il déclaré. « Les faits sont là : un avenir mondial durable pour les personnes et la nature est toujours réalisable, mais il nécessite un changement profond à travers des actions rapides et de grande envergure d'un type jamais tenté auparavant, en s'appuyant sur des réductions ambitieuses des émissions. La résolution de certains des compromis décisifs et apparemment inévitables entre le climat et la biodiversité impliquera un profond changement collectif des valeurs individuelles et partagées concernant la nature - comme le passage d'une conception du progrès économique basée exclusivement sur la croissance du PIB à une conception qui trouve un équilibre entre le développement humain et les multiples valeurs de la nature pour une bonne qualité de vie, et ce sans dépasser les limites biophysiques et sociales ».

Les auteurs préviennent également que des actions étroitement ciblées pour lutter contre le changement climatique peuvent nuire directement ou indirectement à la nature et vice-versa mais qu’il existe de nombreuses mesures qui peuvent apporter des contributions positives significatives dans les deux domaines. Parmi les actions possibles les plus importantes identifiées dans le rapport :

  • Mettre un terme à la perte et à la dégradation des écosystèmes riches en carbone et en espèces sur terre et dans l'océan, en particulier les forêts, les zones humides, les tourbières, les prairies et les savanes, les écosystèmes côtiers tels que les mangroves, les marais salants, les forêts de laminaires et les herbiers marins, ainsi que les habitats d'eaux profondes et les habitats polaires. Le rapport souligne que la réduction de la déforestation et de la dégradation des forêts peut contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine, dans une large fourchette allant de 0,4 à 5,8 gigatonnes d'équivalent dioxyde de carbone par an. 
  • Restaurer les écosystèmes riches en carbone et en espèces. Les auteurs soulignent que la restauration est l'une des mesures d'atténuation du climat fondées sur la nature les moins coûteuses et les plus rapides à mettre en œuvre. Elle fournit un habitat indispensable aux plantes et aux animaux, renforçant ainsi la résilience de la biodiversité face au changement climatique, avec de nombreux autres avantages tels que la régulation des crues, la protection des côtes, l’amélioration de la qualité de l'eau, la réduction de l'érosion des sols et la pollinisation. La restauration des écosystèmes peut également créer des emplois et des revenus, notamment si l'on tient compte des besoins et des droits d'accès des populations autochtones et des communautés locales.
  • Développer les pratiques agricoles et forestières durables pour améliorer la capacité d'adaptation au changement climatique, renforcer la biodiversité, augmenter le stockage du carbone et réduire les émissions. Il s'agit notamment de mesures telles que la diversification des plantes cultivées et des espèces forestières, l'agroforesterie et l'agroécologie. Selon les estimations du rapport, l'amélioration conjointe de la gestion des terres cultivées et des systèmes de pâturage, notamment avec la conservation des sols et la réduction de l'utilisation d'engrais, offre un potentiel annuel d'atténuation du changement climatique de 3 à 6 gigatonnes d'équivalent dioxyde de carbone.   
  • Renforcer et mieux cibler les actions de conservation, en les coordonnant et en les soutenant par une adaptation et une innovation climatiques fortes. Il s’agira notamment d’augmenter considérablement l’étendue des aires protégées, qui représentent actuellement environ 15 % des terres et 7,5 % des océans, ainsi que leur niveau de protection et d’efficacité. Les estimations mondiales des besoins exacts en aires protégées efficacement pour assurer un climat habitable, une biodiversité autosuffisante et une bonne qualité de vie ne sont pas encore bien établies, mais se situent entre 30 et 50 % de l’ensemble des surfaces océaniques et terrestres. Parmi les options permettant d’améliorer les impacts positifs des aires protégées, on peut citer l’augmentation des ressources, une amélioration de la gestion et de la mise en œuvre, et une meilleure répartition avec une interconnectivité accrue entre ces zones. Les mesures de conservation au-delà des aires protégées sont également mises en lumière, notamment les couloirs de migration et la planification en fonction des changements climatiques, ainsi qu'une meilleure intégration des personnes dans la nature pour assurer un accès et une utilisation équitables des contributions de la nature aux populations.
  • Eliminer les subventions qui soutiennent les activités locales et nationales nuisibles à la biodiversité – telles que la déforestation, la surfertilisation et la surpêche, peut également contribuer à l'atténuation du changement climatique et à l'adaptation à celui-ci, de même que la modification des modes de consommation individuelle, la réduction du gaspillage et des déchets et la modification des régimes alimentaires, en particulier dans les pays riches, en faveur d’options plus végétales.  

Parmi les mesures ciblées d'atténuation et d'adaptation au changement climatique identifiées par le rapport comme étant nocives pour la biodiversité et les contributions de la nature aux populations, on peut citer :

  • La plantation de cultures bioénergétiques en monoculture sur une très grande partie des terres. De telles cultures sont préjudiciables aux écosystèmes lorsqu'elles sont déployées à très grande échelle. Elles réduisent les apports de la nature aux populations et entravent la réalisation de nombreux objectifs de développement durable. À petite échelle, parallèlement à des réductions prononcées et rapides des émissions de combustibles fossiles, les cultures bioénergétiques dédiées à la production d'électricité ou de carburants peuvent présenter des avantages connexes pour l'adaptation au changement climatique et la biodiversité.
  • La plantation d’arbres dans des écosystèmes qui, jusque-là, n’étaient pas des forêts et le reboisement avec des monocultures – en particulier avec des espèces d'arbres exotiques. Cette pratique peut contribuer à l'atténuation du changement climatique, mais elle est souvent préjudiciable à la biodiversité, à la production alimentaire et aux autres contributions de la nature aux populations. Elle ne présente aucun avantage évident pour l'adaptation au changement climatique et peut déplacer les populations locales en raison de la compétition pour les terres.
  • L’augmentation de la capacité d’irrigation. Une réponse courante pour adapter les systèmes agricoles à la sécheresse et qui entraîne souvent des conflits liés à l'eau, la construction de barrages et la dégradation à long terme des sols due à la salinisation.
  • Toutes les mesures trop étroitement axées sur l'atténuation du changement climatique devraient être évaluées globalement en fonction de leurs avantages et risques respectifs, comme certaines énergies renouvelables générant des poussées d'activité minière ou consommant de grandes quantités de terres. Il en va de même pour certaines mesures techniques trop étroitement axées sur l'adaptation, telles que la construction de barrages et de digues. S'il existe d'importantes possibilités pour l’atténuation et l'adaptation au changement climatique, celles-ci peuvent avoir des impacts environnementaux et sociaux négatifs importants, tels que l'interférence avec les espèces migratrices et la fragmentation de l'habitat. Ces impacts peuvent être minimisés, par exemple, en développant des batteries alternatives et des produits à longue durée de vie, des systèmes de recyclage efficaces pour les ressources minérales et des approches de l'exploitation minière qui accordent une importance suffisante à la durabilité environnementale et sociale.

Les auteurs du rapport soulignent que si la nature offre des moyens efficaces d'atténuer le changement climatique, ces solutions ne peuvent être efficaces que si elles s'appuient sur des réductions ambitieuses de toutes les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine. « La terre et l'océan font déjà beaucoup – ils absorbent près de 50 % du CO2 provenant des émissions humaines – mais la nature ne peut pas tout faire », a déclaré Ana María Hernández Salgar, présidente de l'IPBES. « Un changement en profondeur dans toutes les composantes de la société et de notre économie est nécessaire pour stabiliser notre climat, arrêter la perte de biodiversité et tracer la voie vers l'avenir durable que nous souhaitons. Pour ce faire, nous devrons également aborder les deux crises ensemble, de manière complémentaire ».  

Soulignant l'importance de cet atelier coparrainé, le Dr Hoesung Lee, président du GIEC, a déclaré : « Le changement climatique et la perte de biodiversité se combinent pour menacer la société – souvent en s’amplifiant et en s'accélérant mutuellement. En se concentrant sur les synergies et les compromis entre la protection de la biodiversité et l'atténuation et l'adaptation au changement climatique, cet atelier a fait avancer le débat sur la manière de maximiser les avantages pour les populations et la planète. Il a également représenté une étape importante dans la collaboration entre nos deux communautés ».

« Il peut s’avérer impossible de réaliser des synergies gagnant-gagnant, ou même de gérer les compromis entre les actions climatiques et de biodiversité dans chaque parcelle d'un paysage terrestre ou marin », a déclaré le professeur Pörtner, « Mais obtenir des résultats durables devient progressivement plus facile si l’on intègre une combinaison d'actions mixtes sur une plus grande échelle spatiale, à travers une collaboration transfrontalière et une planification spatiale consultative conjointe, c'est pourquoi il est important de remédier également au manque de dispositifs et de mécanismes de gouvernance efficaces pour améliorer l'intégration entre les solutions pour le changement climatique et la biodiversité ».

Les gouvernements du Royaume-Uni et de la Norvège ont co-organisé l'atelier virtuel. « C'est une année absolument critique pour la nature et le climat », a déclaré Lord Zac Goldsmith, ministre d'État britannique chargé du Pacifique et de l'Environnement. « Avec la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité à Kunming, et la Conférence sur le changement climatique de Glasgow, au Royaume-Uni, nous avons l'opportunité et la responsabilité de mettre le monde sur la voie du rétablissement. Ce rapport extrêmement précieux des experts de l'IPBES et du GIEC montre clairement que lutter ensemble contre la perte de biodiversité et le changement climatique constitue notre meilleure chance d’y parvenir. »

Sveinung Rotevatn, ministre norvégien du Climat et de l'Environnement, a ajouté : « Les politiques, les efforts et les actions visant à résoudre les crises mondiales de la biodiversité et du climat ne réussiront que s'ils reposent sur les meilleures preuves et connaissances, c'est pourquoi la Norvège se félicite de ce rapport d'atelier d'experts. Il est clair que nous ne pouvons pas résoudre ces menaces de manière isolée – soit nous résolvons les deux, soit nous n’en résolvons aucune. »  

Rendant hommage au travail de tous les auteurs et évaluateurs experts, la Secrétaire exécutive de l'IPBES, le Dr Anne Larigauderie, a également rappelé le décès récent et tragique du professeur Robert Scholes, co-président du Comité directeur scientifique de l'atelier, et ses nombreuses contributions au GIEC et à l'IPBES.   

Il est important de noter que le rapport de l'atelier n'a pas été soumis à l'examen des gouvernements participant à l'IPBES ou au GIEC, et que le coparrainage de l'atelier par l'IPBES et le GIEC n'implique pas l'aval ou l'approbation de l'atelier ou de ses conclusions par l'IPBES ou le GIEC. 


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