L’article paru dans la revue « Scientific African 20 (2023) e01626 » est intitulé « Culture Scientifique et Croyances Ancestrales en Afrique Sub-Saharienne : Cas des Catastrophes Meurtrières des Lacs Monoun et Nyos au Cameroun ». Dans cette étude, les auteurs posent globalement la problématique des rapports qui existeraient entre la science, les scientifiques et la société en Afrique Sub-Saharienne et particulièrement au Cameroun.
Bien que des efforts aient été faits ces dernières décennies dans le sens de la vulgarisation du savoir scientifique au sein des communautés, la fracture reste profonde entre la science et la société. Le sociologue camerounais Jean-Marc Ela (2008) l’a décrit sans ambiguïté: « La science est loin d’être au centre des préoccupations actuelles des sociétés africaines (…) ». Dans la tourmente qui frappe le continent noir (pauvreté, maladies, chômage, catastrophes naturelles, inflation, crise économique et sécuritaire…), les générations d’Hommes doutent de l’utilité même de la science. Elles se demandent à quoi elle sert et si elle n’est pas un luxe face aux urgences de survie au quotidien. Au-delà des laboratoires et des campus, il faut bien reconnaître que l’image de la science et de la recherche pose un problème fondamental en Afrique bien plus qu’ailleurs. Tout donne l’impression que l’on peut parfaitement se passer des scientifiques dans la mesure même où l’on ne sait pas très bien ce qu’ils représentent.

A l’heure des bouleversements écologiques, géopolitiques (crise russo-ukrainienne), économiques et culturels mondiaux, les africains en particulier sont de plus en plus appelés à être acteurs d’un environnement qui se complexifie et se diversifie : changement climatique, nouvelles technologies de l’information et de communication, démocratie participative, entreprenariat, Objectifs de Développement Durable (ODD)… C’est au cœur des territoires que se construiront ces liens produits à la fois de la volonté des pouvoirs publics et des scientifiques afin de rendre compte à leurs concitoyens des avancées de la recherche et d’une volonté de co-construction durable avec l’ensemble des acteurs des régions dans lesquelles ils sont impliqués.
L'influence que la science et la technologie exercent sur une société donnée constitue probablement l'élément le plus important à considérer, mais aussi le plus difficile à cerner… Cette difficulté à considérer et à cerner la science et les résultats scientifiques est en partie liée à un manque de culture scientifique d’un peuple autochtone jusqu’ici très ancré dans certains mythes et croyances, mais aussi peu informé du métier de la recherche scientifique et des grandes découvertes et progrès qui en découlent.
Dans cette publication, les auteurs présentent une somme de réflexions sur ce qu’ils pensent de la promotion de la culture scientifique et technique en Afrique noire. Le papier présente l’intérêt d’une vulgarisation des résultats scientifiques au sein d’un peuple encore très attaché à ses valeurs culturelles. Le phénomène qu’ils ont choisi pour étayer leur pensée et leur vision repose sur les catastrophes meurtrières des lacs Monoun et Nyos au Cameroun et les grandes avancées scientifiques qui les ont suivies.

Le 15 août 1984 au lac Monoun et le 21 août 1986 au lac Nyos, respectivement 37 et 1746 personnes sont mortes dus aux émanations gazeuses. L’explosion du lac Monoun étant de moindre ampleur, c’est celle de Nyos qui attirera l’attention du gouvernement camerounais et des chercheurs du monde entier sur ce phénomène inédit dans ces deux écosystèmes tristement célèbres. Les lacs Monoun et Nyos, écosystèmes très particuliers, sites scientifiquement, sociologiquement et politiquement stratégiques, sont situés sur l’alignement volcanique du Cameroun. Il a clairement été démontré que ces deux lacs stockent sous forme dissoute dans leurs profondeurs de grandes quantités de gaz toxique. Aussi, la communauté microbienne, extrêmement variée, qui colonise ces lacs est capable, elle aussi, de produire, stocker et relâcher des gaz. Ces particularités ont valu à ces lacs d’être répertoriés sous le nom de « lacs tueurs ». Malgré ces résultats pertinents qui ont précédé l’installation du dispositif de dégazage, et faute d’une réelle promotion des résultats scientifiques, la société camerounaise et particulièrement les populations autochtones sont restées jusqu’ici très divisés sur les origines du gaz. Pour les uns, il s’agissait d’un essai d’une bombe et pour d’autres, d’un phénomène mystique attribué aux ancêtres. Seule une minorité a pu comprendre qu’il s’agissait d’un phénomène naturel scientifiquement explicable.
Lien pour accéder directement à la publication : https://doi.org/10.1016/j.sciaf.2023.e01626
AUTEURS
Paul Alain NANA : Département d’Océanographie, Institut des Sciences Halieutiques, Université de Douala, Cameroun (E-mail : nanapaul4life@yahoo.fr)
Moïse NOLA : Laboratoire d’Hydrobiologie et Environnement, Faculté de Sciences, Université de Yaoundé 1, Cameroun (E-mail : moise.nola@yahoo.com)
Didier DEBROAS : Laboratoire Microorganismes: Génome et Environnement (LMGE), UMR CNRS 6023 Université Clermont Auvergne, France (E-mail : didier.debroas@uca.fr)
Télesphore SIME-NGANDO : Laboratoire Microorganismes: Génome et Environnement (LMGE), UMR CNRS 6023 et Laboratoire Magmas et Volcans (LMV), UMR IRD 163, Université Clermont Auvergne, France ; Représentant IRD Cameroun avec compétence au Congo, RD Congo et Gabon (E-mail : telesphore.sime-ngando@ird.fr)