Une étude impliquant l’UMR Eco&Sols a mis en évidence que les pratiques agroécologiques à Madagascar peuvent non seulement accroître la productivité et la rentabilité des systèmes agricoles familiaux, mais également contribuer à atténuer les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture, à un coût modeste pour la société.

Les projets de développement rural ont pour ambition de développer une agriculture durable pour les exploitants sans compromettre l’environnement. Ils doivent cependant être évalués avant d'engager les petits exploitants agricoles à grande échelle. Dans les pays d’Afrique subsaharienne, les données agronomiques, économiques et environnementales sur les systèmes ou les pratiques agricoles restent relativement rares et dispersées. Le travail présenté ici évalue l’impact potentiel de pratiques agroécologiques à la fois sur le revenu des agriculteurs et sur les bilans de gaz à effet de serre (GES) induits par les activités agricoles.

Amélioration des sols cultivés (parcelle de maraichage, ici des haricots, sur lesquels on a mis du fumier), Imerintsiatosika, Région d'Itasy, Madagascar.

© IRD - Tiphaine Chevallier

Un travail interdisciplinaire et multi-acteurs à large spectre spatio-temporel

Cet article publié dans Journal of Cleaner Production est fondé sur les résultats obtenus lors d'un projet de développement rural à Madagascar, dans une région de 1800 ha de la province d’Itasy portant sur environ 1200 familles. Ce projet de développement a été conduit par l’ONG AgriSud International. « L’objectif du projet était de promouvoir un ensemble de pratiques agroécologiques : l’agroforesterie, l’utilisation de compost dans les rizières inondées mais aussi en agriculture pluviale et le SRI – système de riziculture intensive », explique Tiphaine Chevallier, pédologue à l'UMR Eco&Sols. Une analyse de l'efficacité des investissements économiques pour atténuer les GES à l’échelle du projet a aussi été réalisée. Les bénéfices économiques et environnementaux liés à l'atténuation des GES ont été projetés sur une période de 20 ans selon trois scénarios. Les deux premiers scénarios diffèrent par les niveaux attendus d'adoption des pratiques agroécologiques. Ils ont été comparés à un scénario de référence, dans lequel il n'y avait pas d'intervention de l’ONG.« L’établissement des scénarios d’adoption et les données agronomiques (rendement), socio-économiques (charges et revenus) et environnementales (stocks de carbone dans les sols et les biomasses, émissions de GES) ont été établis grâce à plusieurs études scientifiques conduites en parallèle du projet de développement », continue Tiphaine Chevallier. Ces études (analyses de sol, de biomasses, de rendements et des enquêtes auprès des agriculteurs) auxquelles l’UMR Eco&Sols a été associée dans le cadre de thèses ou d'autres projets ont été menées essentiellement par les chercheurs du Laboratoire des RadioIsotopes (LRI, Université d’Antananarivo). Ces recherches questionnent toutes la durabilité de l’agriculture familiale de la région d’Itasy, région proche de la capitale Antananarivo (voir également le projet Secure). Ici, l’étude interdisciplinaire entre science du sol, agronomie et économie s'appuie sur l'ensemble de données recueillies sur 192 exploitations agricoles pendant cinq saisons de culture (2013-2018).

Mesure du méthane à Madagascar

© IRD - Tiphaine Chevallier

Un bilan GES réduit et une rentabilité des systèmes agricoles familiaux améliorée

Le bilan GES a été estimé à l'aide de deux calculateurs : TropiC Farm Tool, développé localement, et EX-ACT, développé par la FAO en collaboration avec l’IRD il y a 6 ans. Les émissions de GES ont été réduites dans les deux scénarios par rapport au scénario de référence de -5,2 à -13,6 tCO2eq ferme-1 an-1?tonne de CO2 équivalent par ferme et par an. « La fourchette de réduction correspond aux deux niveaux d’adoption des pratiques agroécologiques par les populations. La plus faible réduction (-5,2) correspond à un niveau d’adoption moyen où seulement la moitié des surfaces de la ferme est convertie en SRI et en agroforesterie », mentionne Tiphaine Chevallier. La plus forte réduction (-13,6) correspond à un niveau optimal où toutes les surfaces sont converties. À l'échelle régionale, la quantité de GES non émis par euro (€) investi par le projet de développement a été estimée à -0,25 tCO2eq euro-1?tonne de CO2 équivalent par euro et -0,41 tCO2eq euro-1 (soit 4 à 2,5 € tCO2eq-1) pour les deux scénarios. Les rendements du riz et des cultures pluviales sont potentiellement multipliés par 3 grâce à une meilleure production et gestion des fumiers et composts. La production d’agrumes, grâce aux arbres plantés en agroforesterie, améliore la production agricole et ainsi les revenus de la ferme. Le flux de trésorerie annuel des agriculteurs s’améliore (x 3 à x 5 pour le scénario le plus optimiste) également dans cette projection sur 20 ans.

Battage du riz à Madagascar

© IRD - Tiphaine Chevallier

Des discussions sur la place de l’agriculture familiale pour l’atténuation du changement climatique

L’article pointe les limites d’une telle étude qui prend très peu en compte les aspects d’organisation du travail, telle que la disponibilité de main d’œuvre, ou d’organisation des marchés pour l’écoulement des nouveaux produits agricoles. Malgré les nombreuses incertitudes et limites de cette étude qui n’est qu’une évaluation d’un potentiel, il est montré néanmoins que les pratiques agroécologiques peuvent non seulement accroître la productivité et la rentabilité des systèmes agricoles familiaux, mais également contribuer à atténuer les émissions de GES de l’agriculture à un coût modeste pour la société. Cette étude permet d’alimenter les discussions sur la place de l’agriculture familiale dans l’agenda des solutions pour l’atténuation du changement climatique (cf. action commune de Koronivia). Ainsi, dans le cadre de ces échanges, de plus en plus de projets de recherche associant agriculteurs, ONG et chercheurs démarrent actuellement (e.g. Avaclim, FairSahel, Cassecs, Sustainsahel...). Ces projets interdisciplinaires associent différents points de vue et cherchent à caractériser l'agro-écologie sur un ensemble de critères socio-économiques et environnementaux.
 

Publication : Rakotovao N.H., Chevallier T., Chapuis-Lardy L., Deffontaines S., Mathé S., Ramarofidy M.A., Rakotoniamonjy T.H., Lepage A., Masso C., Albrecht A., Razafimbelo T.M. Impacts on greenhouse gas balance and rural economy after agroecology development in Itasy Madagascar. Journal of cleaner production. 2020 https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2020.125220

Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet SoCa financé par la Fondation BNP Paribas.


Aller plus loin :

Contacts science : Tiphaine Chevallier, IRD, UMR Eco&Sols tiphaine.chevallier@ird.fr


Lydie Lardy, IRD, UMR Eco&Sols lydie.lardy@ird.fr
Tantely Razafimbelo,  Université D’Antananarivo tantely.razafimbelo@gmail.com
 

Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet communication.occitanie@ird.fr