En étudiant la dérive des flotteurs Argo, une équipe de chercheurs impliquant des scientifiques de l’UMR LEGOS?en partenariat avec des chercheurs du LOPS (Laboratoire d'Océanographie Physique et Spatiale) a analysé le comportement énergétique profond de l’océan Pacifique tropical. Ils ont montré que de nombreuses ondes y sont présentes et pourraient jouer un rôle important dans la formation des courants profonds.
Difficiles d’accès, la circulation et le contenu énergétique de l’océan profond ont été rarement observés et restent très largement méconnus. Cette lacune constitue un biais important pour la représentation de la circulation océanique globale dans les modèles de climat.
Les flotteurs Argo, sentinelles des océans
Lancé en 2000, le réseau international ARGO?ARGO est un programme scientifique lancé en 2000 par la Commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco (COI) et l’Organisation météorologique mondiale (OMM) compte désormais plus de 10 000 flotteurs répartis sur l’ensemble des océans de la planète. C’est le premier réseau mondial d’observation in-situ et en temps réel des océans. Pour les océanographes, c’est un outil inégalable. Les flotteurs Argo sont des instruments sous-marins autonomes qui mesurent la pression, la température et la salinité. Ils plongent depuis la surface jusqu’à une profondeur d’environ 1000 m où ils dérivent pendant 10 jours, avant de plonger à une profondeur de 2000 m puis de remonter à la surface en mesurant un profil de température et de salinité dans la colonne d’eau. La position de chaque flotteur est transmise en surface par liaison satellite. La différence de position entre deux remontées des flotteurs permet d’estimer une vitesse moyenne sur 10 jours à 1000 m de profondeur pour chaque cycle d’un flotteur. « La masse de données de vitesses profondes collectées (plus de 250000 à l’heure actuelle pour le Pacifique tropical) commence à être suffisamment importante pour réaliser des statistiques fiables » livre Audrey Delpech, auteur de l’étude. Pourquoi s’intéresser en particulier à l’océan tropical ? Les océanographes et climatologues suspectent que c’est une zone privilégiée pour les transferts d’énergie entre la surface et les profondeurs.
Les ondes, vecteurs d’énergie pour l’océan profond
Dans cette étude, les auteurs ont cartographié l’énergie cinétique?L'énergie cinétique est l'énergie que possède une particule du fait de son mouvement. dite « turbulente » (énergie cinétique associée aux fluctuations des courants, par opposition à l’énergie cinétique moyenne) de l’océan profond. Ils ont également analysé le contenu spectral (échelles spatiales et temporelles) de l’océan Pacifique tropical à partir de mesures des vitesses profondes effectuées simultanément par l’ensemble des flotteurs Argo présents dans cette région. Les scientifiques ont ainsi décelé la présence d’ondes à la profondeur de 1000 m à des périodes intra-annuelles, qui varient en fonction de la localisation. Les vitesses méridiennes (nord-sud) oscillent de façon dominante à des périodes de 75 jours hors équateur et à des périodes de 30 et 50 jours à l’équateur. Les vitesses zonales (est-ouest) oscillent à des périodes annuelles. « Généralement, ces ondes sont générées en surface. La découverte de leur présence en profondeur à ces basses latitudes [proches de l’équateur] suggère que l’océan tropical joue un rôle clef dans le transfert vertical d’énergie » ajoute l’océanographe.
Vers une meilleure compréhension des courants profond ?
Ces avancées récentes mettent en lumière le lien entre l’énergie cinétique turbulente et les courants profonds. Aux basses latitudes, les courants sont organisés en jets zonaux s’écoulant sur l’ensemble du bassin vers l’est ou vers l’ouest ; leur direction se renverse périodiquement tous les 150 km en latitude. La cartographie à fine échelle de l’énergie cinétique turbulente a permis de mettre en évidence son renforcement à l’intérieur des jets vers l’est. Ces observations permettent ainsi de valider des hypothèses, jusqu’alors théoriques, stipulant que la formation et le maintien de ces courants profonds sont étroitement liés à la présence de ces ondes. L‘éclairage apporté par l’ensemble de ces résultats renseigne donc sur les mécanismes généraux de la circulation océanique.
Publication : Delpech, A., Cravatte, S., Marin, F., Ménesguen, C., & Morel, Y. (2020). Deep eddy kinetic energy in the tropical Pacific from Lagrangian floats. Journal of Geophysical Research: Oceans, 125, e2020JC016313. https://doi.org/10.1029/2020JC016313
Aller plus loin :
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Ouvrages :
Contacts science : Audrey Delpech, Sophie Cravatte, UMR LEGOS audrey.delpech@legos.obs-mip.fr
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet communication.occitanie@ird.fr