Ils s’appellent Florian, Muriel, Andres, Veerle, Louis-Clément… Chaque matin, une communauté de chercheurs de l’IRD travaillant en Afrique Australe, de l’Est et dans l’Océan Indien se lève avec une seule idée en tête : combattre les maladies transmissibles ayant de graves conséquences sur les populations de la région.

Leur cible : paludisme, dengue, maladie du sommeil, coronavirus, tuberculose, etc. Leur mission : étudier ces maladies, leur transmission ou encore leurs traitements afin de trouver des solutions durables pour protéger la population et l’environnement. Leurs atouts principaux : le partenariat équitable avec les chercheurs du Sud et l’implication des populations locales dans les projets de recherche.

Quelques chiffres permettent de saisir l’ampleur du défi. 65 millions de personnes sont exposées au risque de contracter la maladie du sommeil (trypanosomiase humaine africaine, transmise par la mouche tsé-tsé) dans les 36 pays endémiques d’Afrique?https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/trypanosomiasis-human-african-(sleeping-sickness). 91% des décès dus au paludisme avaient lieu en Afrique en 2010?https://www.who.int/malaria/world_malaria_report_2011/wmr2011_summary_keypoints_fr.pdf?ua=1. Enfin, en 2014, on estimait à plus de 2,5 milliards le nombre de personnes exposées à un risque d’infection par la dengue?https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/112816/WHO_HIS_HSI_14.1_fre.pdf;jsessionid=1960192B1434A44C89FC12EF97F012BB?sequence=1. L’épidémie la plus récente, causée par le SARS-CoV2 en 2020, a entrainé 6 746 décès en Afrique au 5 juillet (OMS).

L'approche One Health.

© Agropolis

Face à ces constats non exhaustifs, l’Organisation Mondiale de la Santé a choisi une approche intégrée : « un monde, une santé » (One Health). Selon ce concept, la santé humaine, la santé animale et l’environnement sont interconnectés. Les efforts doivent ainsi être menés de front sur ces trois aspects afin de garantir une santé durable pour tous, notamment face à l’accélération récente de l’émergence de nouvelles maladies infectieuses.

« La recherche sur les maladies transmissibles est l’une des priorités de l’IRD dans la région, dans une approche One Health. L’implication des personnels de santé locaux dans tous les projets est au centre de l’attention des chercheurs. », indique Jean-Pascal Torréton, représentant de l’IRD en Afrique du Sud.

Les projets menés dans la région couvrent de multiples dimensions : de la connaissance des caractéristiques des pathogènes à la mise en place des traitements, en passant par l’étude des réservoirs et vecteurs de ces maladies ou encore des mécanismes de transmission homme-animal. Les chercheurs prennent également en compte l’influence des écosystèmes sur les maladies et la capacité des systèmes de santé nationaux à gérer les éventuelles épidémies.

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© IRD - Vincent Jamonneau

Prélèvement dans le cadre du dépistage de la maladie du sommeil.

Veerle Lejon, chercheure au sein de l’unité Intertryp, participe par exemple aux essais cliniques d’un nouveau traitement contre la maladie du sommeil en Ouganda et au Malawi. « Après des années de recherche, les essais sont actuellement en cours, afin de garantir un meilleur traitement pour les patients. D’autres traitements existent déjà mais ont de nombreux effets secondaires » explique Veerle.

De la recherche fondamentale à la mise en place de solutions concrètes, nos chercheurs sont sur tous les fronts. Suivez-en quelques-uns dans leur travail quotidien.

L'Aedes aegypti est une espèce de moustique qui est le vecteur principal de la dengue, du virus Zika, du chikungunya et de la fièvre jaune.

© IRD - Nil Rahola

L'Aedes aegypti est une espèce de moustique qui est le vecteur principal de la dengue, du virus Zika, du chikungunya et de la fièvre jaune.

Circulation de pathogènes à grande vitesse

Sacs sur le dos, lampes vissées sur le front, matériel en main, les chercheurs s’avancent dans la nuit de l’île de la Réunion. Tous les soirs pendant plusieurs semaines, Muriel Dietrich et son équipe partent au coucher du soleil pour étudier le seul mammifère volant de notre ère. Arrivés à leur destination, un transformateur électrique accueillant une colonie de chauve-souris, les chercheurs déballent leurs filets et autres pièges. Ils ont pour objectif de capturer quelques spécimens d’une espèce endémique de l’île, le Petit Molosse, et de réaliser des prélèvements (urine, fèces, salive), avant de les relâcher.

« Les chauves-souris sont le réservoir d’un certain nombre d’agents infectieux que nous étudions. Nous recherchons par exemple la présence de bactéries Leptospira », explique Muriel. Suivre différentes colonies de chauve-souris à la Réunion et à Madagascar permet aux chercheurs de comprendre l’organisation et la structure des populations, leur réaction aux modifications environnementales et leurs interactions avec les agents infectieux. Comme pour d’autres projets dans la région, ces recherches permettent d’identifier les maladies auxquelles les populations humaines et animales pourraient être exposées. « Les chauves-souris sont souvent considérées à tort comme nuisibles. Elles jouent pourtant un rôle fondamental de régulateurs des populations d’insectes dont elles se nourrissent, et sont également impliquées dans la dispersion du pollen et des graines », nuance Muriel.

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© CapCom21

Les chercheurs travaillent de nuit pour récolter des échantillons chez les chauves-souris.

Si certains animaux jouent le rôle de réservoir des agents infectieux, comment les maladies sont-elles transmises entre l’environnement, les animaux et l’homme ? C’est là que, parfois, des vecteurs rentrent en piste. Du réservoir à l’homme, ou d’homme à homme, certains agents infectieux sont en effet transmis par un messager, comme le moustique par exemple. Les chercheurs de la région et leurs partenaires tentent de comprendre comment fonctionnent les vecteurs, quels pathogènes ils transportent et ce qui encourage les transmissions.

 

A quelques kilomètres de Muriel et de ses collègues, d’autres scientifiques de l’IRD ont pour objectif de contrôler les populations de moustique tigre à la Réunion grâce à la Technique de l’Insecte Stérile (TIS). Cette méthode de lutte biologique permet de faire baisser le nombre de moustiques vecteurs du chikungunya ou de la dengue sur l’île. Il s’agit de rendre stériles des moustiques mâles (qui ne piquent pas) élevés en laboratoire. Une fois relâchés, ils ne donneront pas de progéniture et la population chutera.

Le premier lâcher de moustiques stériles dans le quartier Duparc a eu lieu en juin 2019.

© IRD - TIS

Après des années de mise au point de la technique, Louis-Clément Gouagna et son équipe passent aux tests de terrain : « en 2021, nous lancerons des tests de lâchers massifs de ces moustiques stériles dans un quartier de la commune de Sainte-Marie. Si la méthode s’avère efficace et qu’elle est acceptée par la population et les autorités, nous pourrons la mettre en place sur l’ensemble de l’île et ainsi lutter contre les épidémies transmises par les moustiques ». D’un projet local, la TIS s’étend aujourd’hui dans la région. Une étude est en cours pour déterminer les possibilités d’extension de cette technique au Kenya, à Maurice et à Madagascar.

A l’image du travail de Muriel et Louis-Clément, les réservoirs et vecteurs de maladies transmissibles sont passés au crible par les chercheurs, afin de mieux comprendre la circulation des pathogènes et d'aborder les problématiques sanitaires de la région dans leur ensemble.

Animaux domestiques au Zimbabwe.

© IRD - Eve Miguel

Animaux domestiques au Zimbabwe.

Humains, faune sauvage et animaux domestiques : un destin lié

Saviez-vous qu’entre 60 et 70% des maladies humaines émergentes et ré-émergentes résultent d’un transfert des pathogènes à partir d’animaux domestiques ou sauvages ? Les mammifères ongulés, les carnivores, les rongeurs ou encore les primates arrivent en tête du classement en transmettant la plupart des maladies zoonotiques.

Panneau de prévention contre la fièvre aphteuse en Afrique du Sud.

© IRD

Eve Miguel et Florian Liégeois l’ont bien compris et souhaitent en savoir plus sur les maladies animales, zoonotiques (transmises à l’homme par l’animal) et les relations entre écosystèmes et santé. « Au Zimbabwe comme ailleurs en Afrique Australe et de l’Est, les contacts entre la faune sauvage et les populations sont de plus en plus fréquents. Les crises climatiques et politiques poussent les populations à utiliser les zones protégées comme des zones de refuges pour accéder à des ressources telles que l’eau ou le pâturage pour l’agriculture de subsistance  », explique Eve Miguel, écologue et épidémiologiste au sein de l’unité MIVEGEC.

A ces risques s’ajoutent la perte de la biodiversité, l'augmentation des températures et la diminution des précipitations, modifiant les réseaux de contact entre hôtes de potentiels pathogènes, notamment les zones de conservation transfrontalières où animaux et hommes cohabitent. Les risques de maladies infectieuses qui en résultent pour la faune, le bétail et les humains sont ainsi modifiés.

 

Les chauve-souris porteuses de coronavirus

Pour mener l’enquête et comprendre ces modifications, les scientifiques parcourent le Zimbabwe, ses zones urbaines, rurales et ses parcs nationaux. Colliers GPS, pièges photographiques et seringues font partie de leur équipement. Ils permettent d’étudier les comportements et les déplacements des populations d’animaux sauvages (mammifères ongulés comme les buffles, chauves-souris, rongeurs…) et d’effectuer des prélèvements de salive, de fèces ou de sang.

Une fois rentrés au laboratoire de biologie moléculaire récemment mis aux standards internationaux à Harare, ces échantillons sont analysés pour détecter d’éventuels pathogènes et comprendre leurs mécanismes de transmission.

Chauve-souris.

© IRD - Jean-Louis Duprey

Les chercheurs zimbabwéens et français ont récemment identifié différents types de coronavirus au sein de deux colonies de chauves-souris microchiroptères insectivores et cavernicoles dans les districts de Kwekwe et Hurungwe, au centre et au nord du pays.

« Certaines maladies peuvent avoir de graves conséquences sanitaires et économiques pour le Zimbabwe et la région. Une épidémie touchant le bétail ferait perdre à la population l’un de ses moyens de subsistance. La Covid-19 est aussi un exemple de zoonose transmise à l’homme et qui entraîne de lourdes pertes humaines. » précise Florian Liégeois. Mieux connaître les pathogènes portés par la faune permettra de mieux réagir face à une éventuelle prochaine épidémie du même type. « Nous travaillons avec nos partenaires pour renforcer les capacités du Zimbabwe à réagir face à ce type d’événement et à détecter les pathogènes le plus tôt possible ».

Dans les pays voisins comme au Zimbabwe, les chercheurs mettent ainsi l’accent sur la connaissance des pathogènes présents chez les animaux sauvages et domestiques afin de contribuer à l’approche mondiale One Health et ainsi lutter contre les épidémies.

Contrôle des températures à l'entrée d'un hôpital de Bulawao, au Zimbabwe, pendant la pandémie de Covid-19.

© International Labor Organization

Contrôle des températures à l'entrée d'un hôpital de Bulawao, au Zimbabwe, pendant la pandémie de Covid-19.

Mieux réagir face aux épidémies

Ifanadiana, petite ville de l’est de Madagascar. Ici, comme dans la plupart des régions de la Grande Ile, les maladies infectieuses sont fréquentes et ont de graves conséquences. Paludisme, tuberculose, VIH, maladies tropicales négligées, peste, etc. : l’un des pays les plus pauvres de la planète ne dispose que de peu de moyens pour affronter ces épidémies successives.

Andres Garchitorena a choisi de baser ses recherches à Ifanadiana, afin d’étudier les conditions qui encouragent la prévalence de ces différentes maladies. « Endiguer les maladies infectieuses à Madagascar, et dans toute la région, passe par un meilleur accès à des soins de qualité pour tous. La situation économique, la qualité du système de soins et les difficultés d’accès aux centres de santé jouent un rôle crucial dans la gestion des épidémies », explique-t-il.

Armé de bonnes chaussures, de son sac à dos et accompagné de ses partenaires de l’ONG PIVOT, Andres part à la rencontre des habitants du district afin de mieux comprendre leurs habitudes : « depuis 2014, nous collaborons avec l’Institut National des Statistiques pour suivre plus de 8000 personnes du district, soit 1600 ménages. Cela nous permet de comprendre à quelle fréquence ils ont recours aux soins, pour quelle pathologie et surtout quels sont les résultats des politiques gouvernementales ou des ONG », détaille-t-il. En chemin, il s’arrête à l’un des centres de santé qui sont également suivis : « nous récoltons différentes informations dont le nombre de consultations, les diagnostics effectués, le profil des patients ou encore leur provenance géographique », poursuit-il.

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© ONG Pivot

Les chercheurs en visite à l'hôpital d'Ifananiada.

De retour au bureau, les chercheurs observent avec attention les images satellites de la zone. Après les avoir couplées aux données sociales de la population et aux statistiques des centres de santé, ils peuvent dresser un aperçu complet de l’accès aux soins dans le district. Les barrières géographiques et climatiques (végétation, crue), les temps de parcours importants (distance, chemins de terre) ou les contraintes financières sont des éléments pouvant amener la population à renoncer aux soins.

La pauvreté est l’un des principaux freins à l’élimination des maladies infectieuses dans le district. Une étude a en effet montré que la gratuité des frais de santé permettait d’augmenter significativement la fréquentation des centres de santé (+65%), notamment pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. Les interventions du gouvernement et des ONG ont ainsi un large impact et la mise en place d’une couverture sanitaire universelle doit être encouragée.

Session de formation en laboratoire, au Zimbabwe.

© Veerle Lejon

La formation, une priorité

La qualité des soins et la gestion des épidémies dépendent aussi de la formation des personnels de santé. Qu’ils soient agents communautaires choisis par les habitants ou médecin des cliniques et hôpitaux, ils jouent un rôle clé dans le traitement des maladies infectieuses. Direction le continent. En collaboration avec le ministère de la santé du pays impliqué, Veerle Lejon prend part à des missions organisées par l’OMS sur la maladie africaine du sommeil (ou THA) en Afrique de l’Est et Australe, où le personnel médical connait peu cette maladie. « Il y a un besoin urgent de formation du personnel en région. » souligne-t-elle. Le projet prévoit des formations au Zimbabwe, en Zambie ou encore au Soudan du Sud sur le diagnostic de la THA, la prévention, la gestion de la mouche tsé-tsé (son vecteur), les différents stades de la maladie et les traitements correspondants. Au Zimbabwe encore, les chercheurs de l’IRD contribuent à former le personnel des services vétérinaires au contrôle des maladies animales via le projet CAZCOM. A Madagascar, les scientifiques de l’IRD encouragent également la formation des agents communautaires pour une meilleure prise en charge du paludisme.

Formation, accès aux soins et performance du système de santé font partie intégrante de la lutte contre les maladies infectieuses dans la région. Dans différentes disciplines, les chercheurs de l'IRD agissent concrètement et quotidiennement pour une santé durable des populations, des animaux et de l'environnement.

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