Une généticienne de l'IRD (UMR DIADE) et un ethnobotaniste du CNRS s'allient à la King Abdullah University of Science and Technology (KAUST) d’Arabie saoudite pour traquer les identités génomiques qui se cachent derrière les noms locaux de variétés de dattiers cultivés dans une oasis de 3000 ans.

La culture des palmiers dattiers est indissociable des oasis et des populations qui en vivent. Afin de comprendre comment celles-ci ont collectionné cette agrobiodiversité, il est indispensable d’analyser les pratiques agricoles et de démêler les dénominations variétales et la diversité génétique cachée.

En haut à gauche, carte centrée sur l’Arabie Saoudite, permettant de situer al-‘Ulā, et en détails, carte des échantillons collectés dans l’oasis d’al-‘Ulā et sa région et analysés dans cette étude.

© Gros-Balthazard et al., 2022

Hommes et dattiers sont indissociables

À la fois agriculture familiale et de rente, la phœniciculture?Culture du palmier-dattier Phoenix dactylifera L. est la ressource principale des habitants des oasis. Cet agroécosystème a fait la preuve de sa résilience, entretenu par les communautés qui en vivent depuis des millénaires dans un milieu hostile - les déserts du Moyen-Orient et d’Afrique du nord -  grâce à leurs pratiques tant écologiques que sociales. Outre leurs précieuses dattes et les milliers d’usages qu’a su tirer l’artisanat local de ces palmiers, ils procurent de l’ombre, coupent le vent et contribuent à créer un microclimat plus humide et favorable aux plantes utiles des deux strates inférieures (arbres fruitiers?Agrumes, jujubiers, bananiers, goyaviers, manguiers, oliviers, etc, plantes maraîchères?Tomates, oignons, gombos, corète potagère, piment, courgettes, roquette, etc. et céréales). Au centre de ce système nourricier, les variétés?Sans doute plusieurs milliers dans le monde de dattiers cultivées sont issues du travail de générations d’agriculteurs. Muriel Gros-Balthazard, biologiste de l’évolution à l’IRD, et Vincent Battesti, anthropologue et ethnobotaniste au CNRS hébergé au Musée de l’Homme, ont mené l’enquête en Arabie saoudite dans l’oasis d’al-‘Ulā et sa région pour comprendre si les noms de variétés locales correspondent à des entités génétiques. Leurs premiers résultats sont publiés dans Plants People Planet.

Trois qualités de dattes du palmier barnī. Sur la droite, la mabrūm, la meilleure qualité, au milieu, la mašrūk, de qualité moindre, et la ‘ādī, seulement donnée aux animaux d’élevage. Al-‘Ulā, Août 2021.

© IRD - Vincent Battesti

Précieuses connaissances autochtones

Les variétés de dattes recensées dans l’oasis constituent un patrimoine vivant qui s’ancre parfois loin dans le temps et dans l’espace.  « Grâce à un long travail de terrain, incluant des centaines d’entretiens avec des propriétaires de nombreuses palmeraies et leurs ouvriers agricoles, nous pouvons établir qu’il existe plus d’une centaine de variétés à al-‘Ulā et sa proche région, rapporte Vincent Battesti. Leurs connaissances sont irremplaçables pour inventorier l’agrobiodiversité locale des dattiers. » Cette façon de pratiquer la recherche inductive à partir du terrain est la seule qui offre une vision au plus près de la réalité. Parmi les variétés locales, celle nommée barnī a une place particulière et peut être qualifiée « d’élite ». Cette première étude sur le dattiers d’al-‘Ulā a donc porté son attention sur celle-ci. « Pour conserver les phénotypes?Ensemble des caractères apparents voulus, ajoute Muriel Gros-Balthazard, les agriculteurs évitent la reproduction sexuée et préfèrent le clonage. Pour autant, difficile d’affirmer a priori si un nom local correspond à une seule variété et à un seul génotype ! »

Une équipe des travailleurs trie les dattes récoltées des palmiers barnī, al-‘Ulā, Novembre 2021.

© IRD - Vincent Battesti

Double approche ethnobotanique et génétique

En effet, parfois un nom de variété recouvre différents génotypes quand la théorie voudrait que l’on ne trouve qu’un génotype unique. Les auteurs de la publication ont d’ailleurs inventé le terme « ethnovariété ». Pour s’attaquer à cet imbroglio, une approche interdisciplinaire?Biologie évolutive/génétique/anthropologie sociale/ethnobotanique, déjà mise en œuvre lors d’une étude similaire dans l’oasis de Siwa en Egypte, était incontournable. « L’agrobiodiversité observée a des dimensions biologiques, historiques et sociales, plaident les auteurs. Notre enquête repose donc sur des paramètres variés. » L’analyse du génome de 23 dattiers montre que barnī correspond à un seul génotype quels que soient l’ancienneté de la palmeraie, l’origine des cultivateurs (bédouine ou sédentaire) et les méthodes de culture. La clarification du statut génétique de cette variété commercialement importante était nécessaire dans un contexte de développement économique de la phoeniciculture de la région. Les scientifiques soulignent que « la durabilité de cette culture plurimillénaire peut être remise en cause écologiquement en sur-dimensionnant les surfaces cultivées et surtout socialement avec une rupture de la transmission des savoir-faire ».


Publication : Gros-Balthazard, M., Battesti, V., Flowers, J. M., Ferrand, S., Breil, M., Ivorra, S., Terral, J.-F., Purugganan, M. D., Wing, R. A., Mohammed, N., & Bourgeois, Y. 2022. What lies behind a fruit crop variety name? A case study of the barnī date palm from al-‘Ulā oasis, Saudi Arabia. Plants, People, Planet, 1-16. https://doi.org/10.1002/ppp3.10326


Aller plus loin Les oasis méditerranéennes

Contacts science : Muriel Gros-Balthazard IRD, UMR DIADE muriel.gros-balthazard@ird.fr


Vincent Battesti, CNR, UMR Éco-anthropologie / Musée de l’Homme vincent.battesti@cnrs.fr


Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet communication.occitanie@ird.fr

Un fermier monte au somment d’un palmier barnī pour la récolte des dattes. Al-‘Ulā, Octobre 2021.

© IRD - Vincent Battesti

 

Cet article a été écrit dans le cadre du projet Planet@liment.