La restitution de la biomasse des arbres abattus et l’installation d’une couverture de légumineuse permettent une restauration rapide des principales fonctions du sol, 18 mois après l’abattage d’une plantation d’hévéas en fin de cycle. Une équipe de chercheurs en a fait la preuve sur deux sites en Côte d’Ivoire, depuis 2017. Alors que la pression foncière et la lutte contre la déforestation obligent les producteurs à replanter toujours sur les mêmes parcelles, ce résultat montre que des pratiques agroécologiques peuvent augmenter la durabilité des plantations d’hévéas.

Ces résultats, majeurs pour les planteurs d’hévéas, ont été publiés en novembre dans Science of the Total Environment. A l’origine de la découverte : un groupe de scientifiques et de sociétés de plantation associant le Cirad, l’IRD et les universités de Clermont Auvergne et de Nangui Abrogoua à Abidjan, ainsi que la Société Africaine de Plantations d’Hévéas (SAPH-groupe SIPH) et la Société des Caoutchoucs de Grand Béréby (SOGB-groupe Socfin).

La Côte d’Ivoire est le 4e producteur mondial de caoutchouc naturel. Avec un million de tonnes annuel, le pays assure à lui-seul 80 % de la production africaine. Filière agricole importante, l’hévéa se cultive sur un cycle de 25 à 40 ans, avant d’être abattu puis replanté pour un nouveau cycle.

« Pour préserver les forêts, les planteurs d’hévéas n’ont pas d’autre choix que d’enchaîner les cycles de plantation sur les mêmes terres. L’abattage des parcelles en fin de cycle s’effectue au bulldozer en plantations industrielles, une méthode impactant négativement la structure des sols et leur santé, indique Thibaut Perron, agronome au Cirad et premier auteur de l’étude. Pendant longtemps, la pratique a consisté à brûler les résidus d’abattage, c’est-à-dire les troncs, branches et souches, avant de planter le cycle suivant. Cette pratique se justifiait notamment par la crainte de propagation du fomès, une maladie qui affecte les racines des hévéas. Avec l’arrêt volontaire du brûlis et la préoccupation d’une gestion durable des sols, les planteurs se sont engagés sur des pratiques agroécologiques qui permettent de restaurer la santé des sols perturbée par l’abattage. » 

Une restauration complète de certaines fonctions du sol grâce aux résidus d’abattage et à une légumineuse

Sur les deux sites étudiés, quatre stratégies ont été testées après l’abattage des anciennes plantations :

1. Aucune restitution de résidus d’abattage et aucun semis de légumineuse
2. Aucune restitution de résidus d’abattage et une légumineuse semée juste après l’abattage
3. Une restitution des résidus d’abattage, à l’exception des troncs, et un semis de légumineuse
4. Une restitution complète des résidus d’abattage, ainsi que le semis d’une légumineuse

Grâce à l’outil Biofunctool®, mis au point par l’IRD et le Cirad, les chercheurs ont analysé, pendant 18 mois à partir de l’abattage, trois fonctions principales du sol : la dynamique du carbone, le cycle des nutriments et le maintien de la structure dans l’horizon de surface. Leurs résultats montrent que 18 mois après l’abattage, la première stratégie ne permet aucune restauration des fonctions du sol. La deuxième stratégie offre une restauration partielle, tandis que les troisième et quatrième stratégies incluant les résidus d’abattage assurent une restauration complète de certaines fonctions.

Évolution de la restauration de la fonction de transformation du carbone par le sol après abattage

© © d’après Thibaut Perron et al., Science of the Total Environment, 2021

Alain Brauman, écologue du sol à l’IRD, co-auteur de la publication et co-concepteur de l’outil Biofunctool®, ajoute : « la restitution des résidus d’abattage et le semis d’une légumineuse augmentent, à la fois, la biodiversité des organismes du sol (bactéries, nématodes, vers de terre, etc.) et la santé des sols. Nos mesures prouvent également qu’il existe une corrélation forte entre la diversité de la macrofaune du sol et le fonctionnement des sols (ou santé) sur les deux sites étudiés. » 

Contribuer à la transition agroécologique des plantations d’hévéas 

La restitution des résidus d’abattage est une solution agroécologique. Elle permet de stimuler les processus écologiques qui entrent en jeu dans les cycles des éléments minéraux dans le sol. Azote, phosphore, potassium sont essentiels pour la croissance des plantes. Les résultats du projet montrent par ailleurs que cette pratique permet d’augmenter la stabilisation du carbone dans le sol. Elle contribue ainsi à réduire l’empreinte carbone de la filière hévéa.

Cependant, d’autres usages des résidus d’abattage sont possibles. A 18 mois, l’impact de la restitution des troncs sur la santé du sol n’étant pas visible, les scientifiques étudient les compromis possibles entre la restauration de la fertilité des sols et la valorisation du bois hors des parcelles. « Les troncs mettent plus de temps à se décomposer, il est donc possible que leur effet sur la restauration du sol soit observé plus tard, note Thibaut Perron. Cependant, l’utilisation des troncs peut également constituer une piste utile pour contribuer à répondre à la demande croissante en bois et en biomasse énergie dans les grandes villes du pays. » 

Enfin, l’équipe étudie en parallèle la croissance des arbres selon les quatre stratégies « non fertilisées », en les comparant avec d’autres parcelles similaires fertilisées. L’objectif est de savoir si la restitution des résidus peut permettre d’assurer une bonne croissance des arbres tout en réduisant l’usage d’engrais chimiques. Thibaut Perron précise : « les arbres ont pour l’instant trois ans. Nos données à l’heure actuelle montrent une meilleure croissance des arbres fertilisés, mais les arbres avec résidus les rattrapent dans certaines situations. Si on arrive à montrer que la gestion des résidus peut permettre de réduire la fertilisation minérale, ce sera une avancée importante pour les producteurs en termes d’optimisation des coûts et de durabilité écologique des plantations ». 

Le projet FERTIM : améliorer la fertilité des plantations d'hévéas pendant leur phase immature (2015-2021)

 

Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet FERTIM, financé par l’Institut Français du Caoutchouc, les sociétés Michelin, SIPH et Socfin. Ensemble, le Cirad, l’IRD, l’université Clermont Auvergne, l’université de Nangui Abrogoua à Abidjan (Côte d’Ivoire) et les financeurs du projet développent et testent de nouveaux outils et pratiques pour améliorer la compréhension du fonctionnement biologique et minéral des plantations immatures d’hévéas. Plusieurs techniques s’inscrivant dans une démarche agroécologique sont à l’essai, en particulier la fertilisation organique par l’introduction d’une plante de couverture et la restitution des résidus d’abattage. La possibilité de substituer tout ou partie des engrais chimiques par des résidus d’abattage améliorerait grandement la durabilité des plantations d’hévéas. L’ensemble des données récoltées par le projet participe à l’élaboration d’un outil d’aide au pilotage de la fertilisation des plantations immatures d’hévéas, qui permettra à terme un apport raisonné d’engrais chimiques. 

Références : Thibaut Perron, Kouakou Aymard, Simon Charlotte, Mareschal Louis, Gay Frédéric, Soumahoro Mouman, Kouassi Daouda, Rakotondrazafy Nancy, Rapidel Bruno, Laclau Jean-Paul, Brauman Alain. 2021. Logging residues promote rapid restoration of soil health after clear-cutting of rubber plantations at two sites with contrasting soils in Africa. Science of the Total Environment 

Brauman, A., Thoumazeau, A., 2020. Biofunctool® : un outil de terrain pour évaluer la santé des sols, basé sur la mesure de fonctions issues de l’activité des organismes du sol. Etude Gest. des Sols 27, 289–304.

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