Le Belmont Forum et ses partenaires*, dans le cadre de l’appel Pathways for Sustainability, financent le projet Fish2Sustainability. Cette initiative propose de renforcer la contribution des petites pêches aux Objectifs de développement durable (ODD).
Rodolphe Devillers, chercheur IRD à l’UMR Espace-Dev, porteur du projet, répond à nos questions.
Quels sont les enjeux de ce projet ?
Ce projet qui implique plus de 30 experts issus de 5 continents et 12 pays différents** cherche à (i) créer et renforcer les communautés de pratique de la petite pêche au niveau national dans six pays (Colombie, Équateur, Kenya, Madagascar, Mexique et Nigeria) et (ii) aider à synthétiser les connaissances existantes liées aux interactions entre petite pêche et les ODD dans ces pays. Un objectif du projet est de développer une méthode qui permettrait de faire un scan rapide d’un contexte dans un pays et d’appréhender les grands défis de la durabilité du domaine des petites pêches dans ce même pays. L’idée est donc d’essayer d’adopter in fine une approche plus générique pour que d’autres pays la reproduisent ensuite dans d’autres contextes, visant donc à fournir des outils opérationnels.
Quelle en est l’originalité ?
Le domaine des petites pêches est étudié depuis longtemps à l’IRD, principalement en Afrique avec un angle socioéconomique très fort. Toutefois, le contexte complexe de cette activité n’a pas été étudié en rapport avec les Objectifs de développement durable des Nations Unies. Dans l’ODD 14 « Conserver et exploiter de manière durable les océans et les mers aux fins du développement durable », il existe un sous-objectif qui concerne les petites pêches. Mais on veut non seulement intéresser à cette contribution mais aussi aux interactions, synergies et oppositions des liens existants entre petites pêches et ODD. Par exemple, si favoriser les petites pêches peut contribuer à réduire la faim dans le monde (ODD 2) en augmentant le nombre de prises de poisson, cela peut, par contre, avoir comme répercussion un risque d’endommager encore plus les habitats marins (ODD14). Donc, les actions au niveau politique peuvent avoir des conséquences diverses et complexes sur certains aspects de chaque ODD. Fish2Sustainability se positionne ainsi pour comprendre ces interactions dans le contexte de pays spécifiques, sachant que la nature des interactions et leurs amplitudes vont changer d’un pays à l’autre.
Sur quelles connaissances antérieures votre équipe s’appuie-t-elle ?
Fish2Sustainability mobilise une certaine richesse et diversité de connaissances antérieures car 30 chercheurs sont impliqués, dont la moitié étudie le domaine des petites pêches au niveau international depuis des années. Les chercheurs du Nord engagés, comme le Canada, la Suède et la France, vont s’associer à des chercheurs des six pays du Sud impliqués dans le partenariat (mais aussi d’autres comme la Thaïlande). Nous allons en partie nous appuyer sur le plus gros réseau de recherche mondial en petites pêches, le TBTI – Too Big to Ignore, un réseau de recherche et de mobilisation des connaissances qui s’est concentré sur la résolution des problèmes et des préoccupations affectant la viabilité et la durabilité de la petite pêche. Ce réseau apportera la capacité d’approcher le problème à la fois de manière top-down et bottom-up : (i) d’un côté nous avons des chercheurs qui ont une bonne connaissance des grands défis mondiaux en termes de pêche, de politique publique, d’enjeux socio-économiques, de conservation et de gestion des ressources et (ii) d’un autre côté, nos nombreux partenaires dans les six pays d’étude nous aideront à faire remonter des problèmes réels et régionaux. La valeur ajoutée se situe au croisement des deux.
Comment se partage le travail de recherche avec les différents acteurs ?
La majorité de la recherche sera portée par des partenaires de pays du Sud. Les trois groupes de travail sont portés par des femmes, deux étant de pays du Sud (une en Afrique et une en Amérique du Sud). Une jeune chercheure récemment recrutée au Kenya assurera notamment la coordination d’un groupe de travaux coordonnant les activités dans les 6 pays. L’idée est que les chercheurs du Sud mobilisent les chercheurs du Nord qui viendront en appui pour répondre aux problématiques.
Quels sont les résultats attendus ?
Le réseau international TBTI, composé principalement de chercheurs, avait une dimension résolument internationale. Ici l’idée est de renforcer les réseaux d’acteurs au niveau national, voire local, autour des questions des petites pêches et des ODD. En pratique, on souhaiterait développer un réseau d’organisations clés, de chercheurs et d’acteurs de la gouvernance à l’échelle d’un pays, qui pourront ensuite mobiliser les connaissances du projet pour venir en support aux politiques publiques dans le domaine des petites pêches. Nous voulons faire une synthèse de l’état de l’art et des problèmes concernant le rôle des petites pêches, en mettant le doigt sur les interactions, dans des contextes nationaux, entre petites pêches et ODD. Nous souhaiterions identifier les lieux où se situent les grands défis, comparer les pays, et enfin, nous aimerions fournir des recommandations en termes de gouvernance, de stratégie et de recherche pour améliorer les connaissances et la durabilité des petites pêches.
En quoi votre recherche répond-elle à la science de la durabilité ?
La science de la durabilité est souvent appelée la science des solutions. Dans ce projet, nous visons à étudier comment les petites pêches peuvent avoir une place durable dans différents environnements socio-économique et écologique. Nous avons monté un projet transdisciplinaire alliant des experts en sciences sociales, économie, sociologie, géographie, biologie, halieutique et sciences des données (modélisation, partage de l’information). Ce groupe travaillera sur des objectifs conjoints avec les acteurs en aidant à proposer des solutions à des problématiques concrètes dans le cadre des ODD. Comme Joël de Rosnay l’exprimait en 1975, on peut faire une analogie avec un macroscope : au lieu de chercher à explorer l’infiniment petit comme on le ferait avec un microscope, les sciences de la durabilité nous permettent de prendre du recul et de voir la complexité du système à l’aide d’un macroscope. Ainsi, nous ne regardons pas uniquement les questions de pêche, mais comment ces pratiques sont en lien avec les populations de poissons, leurs habitats, comment ceux-ci peuvent varier dans le temps du fait du changement climatique, de la pêche industrielle et de la pollution, comment ces pêches permettent de nourrir des populations, de garder des enfants en bonne santé en leur fournissant des protéines et vitamines, et d'améliorer la qualité de vie dans les régions côtières. En gros, on veut voir le monde des petites pêches à travers notre macroscope !
* Future Earth, le Groupe d’observation de la Terre (GEO) et douze partenaires dont l’ANR et AllEnvi.
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Shehu Akintola, Lagos State University, Nigeria
Esther Nazi Fondo, Kenya Marine and Fisheries Research Institute, Kenya
Katia Frangoudes, University of Western Brittany, France
Georges François Thierry Razanakoto, Center for Economic Studies and Research for Development, Madagascar
Brice Trouillet, United Nations, France
Milena Arias Schreiber, University of Gothenburg, Sweden
Nicole Franz, Food and Agriculture Organization, Italy
Alicia Said, Department of Fisheries and Aquaculture, Malta
A. Minerva Arce Ibarra, South Border College, Mexico
María José Barragán Paladines, Charles Darwin Foundation for the Galapagos Islands (CDF), Ecuador
Ratana Chuenpagdee, Memorial University of Newfoundland, Canada
Nikita Gaibor, Public Institute for Aquaculture and Fisheries Research, Ecuador
Kungwan Juntarashote, Too Big To Ignore Global, Thailand
Germán Ponce-Díaz, Interdisciplinary Center of Marine Science, Mexico
Lina Saavedra Díaz, Unimagdalena, Colombia
Silvia Salas, Center for Research and Advanced Studies of the National Polytechnic Institute, Mexico
Associés à 16 organisations partenaires (ONG, regroupement/coopérative, organismes en charge des pêches, fonds environnementaux, réseaux nationaux en lien avec la pêche)
Le Service Partenariat et Contrats de Recherche (SPCR) Occitanie assurera la contractualisation de ce projet avec l'ANR.
Cet article a été écrit dans le cadre du projet Planet@liment.
Contact science : Rodolphe Devillers, IRD, UMR Espace-Dev rodolphe.devillers@ird.fr
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet communication.occitanie@ird.fr