Mis à jour le 14/09/22
Les précipitations : une variable essentielle mais encore mal observée à l’échelle globale. Les précipitations sont la variable d’entrée du cycle hydrologique continental et à ce titre intéressent les sciences hydrologiques. Elles sont aussi le flux en surface résultant de processus atmosphériques complexes de génération, évolution et chute des hydrométéores. Les systèmes précipitants ont un rôle majeur dans les cycles de l’eau et d’énergie, des échelles micro-physiques à climatique. Quantifier les précipitations et analyser leur variabilité, sur une gamme d’échelles spatiales et temporelles, intéresse une vaste communauté de scientifiques et d’utilisateurs, des spécialistes du climat aux experts de la mesure, des agences de bassins aux services hydrométéorologiques, des responsables de la sécurité civile aux agriculteurs, entre autres. La pluie est considérée comme la variable climatique essentielle (ECV) ayant le plus d’impact sur le bien-être des hommes et des sociétés.
Malgré un intérêt universel pour cette variable, son estimation précise, en tout point du globe demeure difficile. Les réseaux pluviométriques sont insuffisamment denses sur une partie des continents et tout particulièrement dans les Tropiques où les enjeux sur l’eau sont majeurs : risques d’extrêmes, sécheresses et inondations ; modèles de prévisions incertains ; conflits latents autour de la ressource en eau. Des moyens de télédétection, au sol et satellitaires, sont venus renforcer le système global d’observation des précipitations. Mais ces techniques indirectes ne sont pas exemptes d’incertitudes et doivent être renforcées. Les travaux de nos équipes ont mis en évidence les limites du système d’observation actuel pour répondre aux enjeux de l’hydrométéorologie tropicale lorsque l’on s’intéresse aux échelles fines, convectives. Les radars météorologiques sont intéressants mais leur coût prohibitif empêche le développement de réseaux opérationnels denses. La mesure satellitaire apporte une information quantitative essentielle mais avec certaines limites en résolution et encore quelques biais dans les produits temps réel. La sensibilité atmosphérique des réseaux de télécommunication : une opportunité
Ces constats ont motivé la recherche d’autres sources d’information sur la pluie, adaptées à l’état présent des pays ‘du Sud’ : les réseaux hydrométéorologiques opérationnels y sont globalement sous dotés, alors même que les risques hydrométéorologiques sont en augmentation. Un autre réseau prospère et se densifie constamment à l’échelle globale et singulièrement dans les régions tropicales, très peuplées : le réseau de télécommunication, qu’il soit terrestre ou satellitaire. La partie hertzienne du réseau, opère dans la gamme micro-onde et ses signaux sont sensibles au contenu en eau de l’atmosphère. Sur cette base, a émergé depuis quelques années l’idée d’exploiter ces fluctuations pour accéder à une information sur les précipitations (Gosset et al., 2016). Les pertes de puissance des liens micro-ondes commerciaux (CML en anglais), entre les antennes-relais des réseaux de téléphonie mobile, peuvent être reliées à l’intensité de pluie sur le chemin de l’onde. Si ces données de puissances sont fournies par l’opérateur, il est possible d’estimer la pluie. Vu la densité de ces réseaux en urbain, la méthode peut donner accès à des champs de pluie de très haute résolution, potentiellement en temps réel et à un coût négligeable pour l'utilisateur.
L’initiative que nous avons appelée Rain Cell Africa est ainsi née.
Rain Cell Africa, un premier succès basé sur les réseaux mobiles.
L’évaluation quantitative de la méthode Rain Cell (Rain Measurement from Cellular network) en Afrique, qui a débuté sur la base d’un lien de l’opérateur Telecel à Ouagadougou et par comparaison avec un pluviographe situé en-dessous, a été réalisée dans le cadre de la thèse d’Ali Doumounia de l'Université de Ouagadougou, co-encadré par nos équipes. Ce travail publié dans GRL (Doumounia et al, 2014) a été mis en avant par l’AGU et a eu énormément d’échos dans la presse internationale (du Washington Post à La Recherche). Suite à la publication de ces travaux et l’intérêt suscité, nous avons décidé de regrouper sous le nom Rain Cell Africa le consortium de partenaires intéressés à promouvoir cette méthode en Afrique. Un colloque international suivi d’une école thématique sur le sujet a été organisé par nos équipes ( IRD / UNESCO / WASCAL / CNES) à Ouagadougou début 2015, et les conclusions reprises dans le Bulletin of the American Meteor. Society (Gosset et al., 2016). L’impact médiatique des premiers résultats a attiré l’attention de plusieurs bailleurs et facilité la discussion avec un opérateur très présent dans la région Ouest-Africaine : Orange. Deux projets pilotes collaboratifs ont été lancés grâce à ces contacts : l’un financé par le fond des nations unis Data4development au Cameroun sous le titre ‘SMART’ (Smart Monitoring of the Atmosphere and Rain using Telecommunication network) et le projet Rain Cell Africa Niger soutenu par la Global Facility for Disaster Reduction and Recovery (GFDRR) de la Banque Mondiale au Niger. Au Cameroun un test de validation du concept en temps réel a été mis en place avec Orange sur les villes de Douala et Yaoundé (http://raincell.sedoo.fr). Les données acquises depuis 2018 sont en cours d’évaluation scientifique mais les premiers résultats de comparaisons avec les pluviomètres sont très prometteurs. Au Niger, un accord informel permet d’avoir des données régulièrement depuis 2016. Un changement d’opérateur en 2020 n’a heureusement pas remis en cause nos contacts et un flux de données nous est actuellement transmis en temps réel. Tous les travaux au sein de Rain Cell Africa au Burkina puis au Niger, et SMART au Cameroun, confirment l’intérêt des mesures de liens micro-ondes pour la surveillance des risques hydrométéorologiques en zone tropicale et singulièrement en Afrique. La méthode, très sensible aux fortes pluies, est particulièrement adaptée à l’estimation des pluies d’origines convectives. Dans les zones urbaines où les réseaux de téléphonie sont denses et les risques particulièrement élevés, la méthode est prometteuse ; l’étude montre notamment à Niamey que la dynamique est très bien reproduite (corrélation supérieure à 0,9) et que le biais est inférieur à 10 % pour la majorité des liens. Dans les zones rurales où le réseau est moins dense, les données de liens pourraient être combinées à l’information satellitaire pour améliorer l’estimation de pluie à l’échelle régionale.
La méthode est clairement validée du point de vue technique, par nos résultats en Afrique et de nombreux travaux en Europe et Israël. Malgré ces initiatives la technique n’a pas été mise en œuvre opérationnellement, avec un engagement contractuel des opérateurs à fournir les données brutes. Nos tests en temps réel en Afrique sont une première intéressante mais sont basés sur la bonne volonté des équipes techniques d’Orange. Les opérateurs n’ont jusqu’ici pas été convaincus de leur intérêt à s’engager ni du modèle économique qu’ils pourraient développer avec ces applications météorologiques de leurs données brutes. Météo-France a été convaincu par nos travaux africains et a contracté nos équipes pour évaluer le potentiel de la technique pour améliorer leur produit opérationnel, en zone montagneuse notamment. Les résultats de cette étude (convention Météo-France/Orange/IRD) ont été convaincants et Météo-France souhaite tester avec nous une opérationnalisation de la méthode. Ce serait un premier débouché opérationnel concret et une excellente vitrine de nos recherches. Pour continuer à promouvoir la technique dans les Pays du Sud, nous travaillons actuellement avec l’OMM/WMO (cf leur lettre de soutien) à la labélisation de cette méthode et aux moyens d’encourager la libération systématique des données (C’est le véritable défi de la suite de Rain Cell, d’autant que les réseaux évoluent vers des configurations (perspective 5G ; augmentation des fréquences etc.) très favorables aux applications ‘météo’.
RAINSMORE : vers un système d’observation des précipitations inclusif de multiples sources de données.
L’expérience RAINCELL a révélé l’intérêt des communautés scientifiques du Sud mais aussi de différents secteurs applicatifs pour les mesures d’opportunités permettant de compléter le système d’observation (in situ ; satellite) existant. Une des motivations du GDRI est d’aider au développement d’une communauté d’experts et utilisateurs de ces techniques. RainCell a également mis en évidence certaines limites du concept : l’accès aux données de l’opérateur mobile peut être difficile et les réseaux sont extrêmement hétérogènes et peu denses dans les zones rurales et peu peuplées. Par une approche collective et internationale, RAINSMORE pourra aider à la libération des données opérateurs dans différents pays.
Pour étendre la qualité des produits pluviométriques aux zones rurales ou bien sans accès aux données des réseaux mobiles, RAINSMORE propose de s’appuyer sur deux types de données satellitaires : les satellites météorologiques (géostationnaires et constellation GPM) mais également l’exploitation des satellites de télécommunications. Des expériences pilotes de mesure de pluie à partir des liaisons satellite-sol ont été lancées en Côte d’Ivoire et au Brésil, et des contacts initiés en Guyane. Au-delà des données même, nous travaillerons aux techniques de fusion de ces différentes informations et au développement d’algorithmes innovant (s’appuyant notamment sur l’intelligence artificielle) pour élaborer des produits pluviométriques optimaux fusionnant toutes les informations disponibles.
L’analyse des différentes techniques d’estimation des précipitations, pluviomètres, radar météorologiques, satellites ou mesures d’opportunités issues des réseaux mobiles montre finalement que ces méthodes sont complémentaires : chacune d’elles couvre une échelle spatiale ou temporelle particulière, leurs performances relatives dépendent du contexte météorologique, la qualité et la disponibilité de leurs données varient régionalement. Les avantages et limites de chaque technique ont été explorés indépendamment mais un défi demeure : comment fusionner ces données hétérogènes pour tirer le meilleur parti de leur complémentarité ? C’est ce que ce projet s’attachera à explorer.
RAINSMORE s’appuiera, grâce à son réseau international, sur des chantiers pilotes dont certains initiés dans RAINCELL sur lesquels nous capitaliserons. Notons qu’une thèse débutée en 2021 (Rodrigo Zambrana, étudiant bolivien au GET) permet déjà d’agréger les compétences des différents partenaires internationaux sur le projet.
Le soutien financier du projet sera ciblé prioritairement sur l'animation scientifique inter-régionale et la valorisation des résultats communs :
- Formation transfert d’expertise :Organisation de webinaires mensuels (avec présentation par expert thématique ou site ; séances de questions/réponses ouvertes aux participants GDRI et étudiants des Universités partenaires)
Elaboration de matériel pédagogique (MOOC)
Stages et missions étudiants
- Animation scientifique inter-régionale et pluri-disciplinaire :Ateliers techniques thématiques sur l’analyse et validation de cartes de précipitations multi-sources sur les sites pilotes
Ateliers d’'écriture et publications/communication des résultats inter-sites.
- Organisation –Levier :
Elaboration de projets - Réponses à appel d’offre.
Négociation auprès des opérateurs pour libération des données
Outre les partenaires institutionnels, publics, RAINSMORE collaborera avec des entreprises du domaine des télécommunications (ORANGE ; DIGICELL ; Zamani_Niger ; ANTEL) pour l’obtention des données, et des start-up intéressées par le développement d’applications aval et qui accueillent de jeunes chercheurs formés par nos équipes (HydroMatters ; Weather Force ; HD-Rain).
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Responsable du projet
Marielle Gosset
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Institutions étrangères impliquées
- Bolivie : Instituto de Hidraulica e Hidrologia de l'UMSA (Université Mayor de San Andres)
- Brésil : (1) Centro National de Monitoramento e Alerta de Desastres Naturais – CEMADEM, (2) Fundacão Cearense de Meteorologia e Recursos – FUNCEME, (3) Université fédérale du Ceara Hidricos, Fortaleza
- Cameroun: IUT Université de Douala
- Côte d’Ivoire : (1) Université Houphouet Boigny, (2) Société d’Exploitation et de Développement Aéroportuaire, Aéronautique et Météorologique, SODEXAM
- Niger : Université Abdou Moumouni
- Uruguay : Salto Hydrogical Center
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UMR Impliquées
- GET
- HSM
- LEGOS
- ESPACE-DEV
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Disciplines
Hydrologie, climat, risques hydrométéorologiques, science des données, TIC (Technologie de I’Information et Communication)
Période : 2022-2025