À l’occasion de la journée mondiale contre le paludisme, le 25 avril, l'IRD donne la parole à l'un des scientifiques de l'Institut spécialisé sur les vecteurs du paludisme : Diego Ayala, entomologiste médical. Il présente sa vision de la maladie et parle de ses activités récentes de recherche et de formation menées principalement à Madagascar.

© IRD
Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Je m’appelle Diego Ayala, entomologiste médical à l’IRD dans l’unité de recherche MIVEGEC, et depuis septembre 2021, affecté à l’Institut Pasteur de Madagascar. Je travaille principalement sur les vecteurs du paludisme : je cherche à comprendre leurs processus d’adaptation à l’environnement, y compris aux habitats humains. Je privilégie une approche multidisciplinaire (comportement, génétique, écologie) en utilisant mon accès au terrain comme pierre angulaire de mes recherches. Je travaille en Afrique depuis 20 ans, principalement en Afrique centrale, et développe aujourd'hui mes recherches avec mes partenaires du Sud dans l’océan Indien.
Quelle est la principale difficulté dans la lutte contre le paludisme ?
Les moustiques vecteurs du paludisme, comme tous les êtres vivants, se développent dans un environnement en constante évolution. Grace à leur énorme polymorphisme génétique?Formes différentes que peut prendre un même gène, ils sont capables de s’adapter très rapidement aux changements liés à l’action humaine. En conséquence, les méthodes actuelles de lutte contre le paludisme perdent de leur efficacité.
Dans toute l'Afrique, nous observons une augmentation de la résistance aux insecticides, un changement de comportement dans le rythme des piqûres, ou encore la colonisation de nouveaux habitats urbains. À l'avenir, nous allons également voir apparaitre une adaptation aux changements climatiques. Nous devons mieux comprendre les mécanismes d’adaptation du moustique afin de prédire ses évolutions.
Qu'est-ce que votre dernière étude sur les génomes des moustiques vecteurs de la malaria a montré ?
Avec mes partenaires gabonais du Centre interdisciplinaire de recherches médicales de Franceville (CIRMF) et l'institut Sanger, nous avons participé au séquençage d’Anopheles funestus (une espèce de moustiques). Anopheles funestus est un vecteur majeur du paludisme. Son génome a déjà été séquencé mais une nouvelle technique d'analyse nous a permis de développer notre connaissance des bases génétiques de la résistance aux insecticides et aussi de la transmission du parasite du paludisme. Au sujet des autres espèces, aucun génome n’était disponible jusqu'à présent, leur séquençage représente donc un progrès.
Quels leviers concrets de lutte contre les vecteurs, l’analyse de l’ADN permet-elle ?
L’analyse de l’ADN permet d’étudier les bases génétiques de l'adaptation des moustiques responsables de la transmission du parasite du paludisme et de mieux comprendre leur système immunitaire, leurs processus d'évolution et leur résistance moléculaire et métabolique aux différents insecticides. L’amélioration des outils génétiques est sans doute la clé pour le développement de nouveaux outils de lutte.
Vous avez organisé une formation en mars dernier à Madagascar, quelle était sa visée ?
J’ai participé en tant que formateur à la session « Insectes et maladies à transmission vectorielle à Madagascar », organisée par l'Institut Pasteur de Madagascar, à destination d'agents de santé, de personnels publics et d'étudiants. Elle portait sur l’étude des insectes d’intérêt médical et avait pour objectif de fixer les bases de l’entomologie médicale, aussi bien théoriques que pratiques, au laboratoire et sur le terrain. Elles sont fondamentales pour former le personnel technique des différents ministères ou centres de santé, ainsi que les futurs chercheurs. Actuellement, l’avancée technique peut autoriser un oubli de ces bases, ce qui peut conduire à des erreurs, parfois graves, sur le terrain. Dans le passé, j’ai aussi organisé ce type de formations au Gabon.
« De façon surprenante, les questions les plus naïves peuvent déboucher sur de vraies remises en question scientifiques, à propos de sujets parfois ancrés et admis. »
En quoi endosser la double casquette de chercheur-formateur permet d’avoir une action efficace ?
Diriger des étudiants et participer aux formations me permet de reformuler mes positions et idées scientifiques. Ce travail oblige à être à jour des avancements dans la recherche et à rester à l’écoute des différents points de vue. De façon surprenante, les questions les plus naïves peuvent déboucher sur de vraies remises en question scientifiques, à propos de sujets parfois ancrés et admis. Selon moi, ces deux casquettes sont fondamentales pour se questionner en permanence sur les principes ou les dogmes considérés comme acquis. De nouvelles idées et des discussions ouvertes sont ainsi suscitées, ce qui est très enrichissant.
Quels sont vos espoirs pour la lutte contre le paludisme ?
Le paludisme est surtout une maladie liée à la pauvreté. Le progrès économique d’un pays permet l’amélioration du système de santé et donc de la prise en charge, ainsi que de la lutte contre les vecteurs, par exemple par la distribution de moustiquaires imprégnées, dont l'IRD a participé au développement. Cependant, la meilleure connaissance du système vectoriel permet déjà, malgré les difficultés économiques et sociales, comme celles rencontrées à Madagascar, d'améliorer l’efficacité des méthodes de lutte contre le paludisme.
Je suis optimiste concernant les avancées technologiques de la lutte contre le paludisme : les moustiques transgéniques? Moustiques génétiquement modifiés et relâchés afin qu'ils transmettent des gènes antipaludiques ou stériles à leur descendance. , l'utilisation du moustique stérile, l’amélioration locale du séquençage haut-débit, la découverte de nouvelles méthodes de lutte comme Wolbachia ou Microsporidia peuvent fournir des informations cruciales. Mais, selon moi, il n’y aura pas de solution magique ou unique. La solution dans la plupart des cas sera une association entre les méthodes de lutte contre les vecteurs et l’amélioration de la santé et de l’habitat humains (maisons mieux isolées et restructurations des villes).
À propos
Projet TIS, technique de l'insecte stérile, co-porté par l'IRD.
Vidéos en lien avec le paludisme
- Response to severe malaria in Benin :Fighting the fatality
- Vaincre le paludisme
- Portrait hommage à ogobara doumbo