Des chercheurs de l’IRD, de l’Université de Montpellier, de l’Institut indonésien des sciences (LIPI) et leurs partenaires ont étudié la biodiversité des poissons récifaux du Triangle de Corail grâce à l'ADN environnemental. Cette méthode, utilisée pour la première fois dans la région, révèle la diversité des espèces présentes, malgré une base de référence de code-barres ADN très fragmentaire. Ces résultats, publiés le 8 juillet dans Proceedings of the Royal Society B., ouvrent la voie à l’utilisation de cette technique dans les écosystèmes les plus riches en biodiversité et les moins étudiés de la planète. 

Les karsts calcaires de Lengguru (Papouasie Occidentale), zone où s'est déroulée l’expédition scientifique Lengguru 2017.

© IRD - Gilles Di Raimondo / Lengguru 2017

L'Indonésie est le plus grand archipel du monde, situé entre les océans Indien et Pacifique. Il englobe le cœur du Triangle de Corail, région abritant la biodiversité marine la plus riche de la planète, avec près de 20 % des récifs coralliens du monde. La Papouasie occidentale est une région de l'Indonésie située à l'extrémité nord-ouest de l'île de Nouvelle-Guinée, au nord de l'Australie. Cette région est l'une des dernières zones vierges qui subsistent en Asie du Sud-Est. Les karsts calcaires de Lengguru ont évolué grâce à des mouvements tectoniques complexes de soulèvement. Au cours des 10 derniers millions d'années, ils ont formé des « îles dans des îles », dont les Raja Ampat, et constituent aujourd'hui un important réservoir de biodiversité avec des niveaux d'endémisme très élevés.

Prélèvement d’eau de mer pour l’ADN environnemental par un plongeur scientifique en recycleur circuit-fermé.

© IRD - Gilles Di Raimondo / Lengguru 2017

Lengguru : une expédition scientifique internationale

En 2017, l’IRD, le LIPI et l'école polytechnique KP de Sorong ont conduit l’expédition scientifique Lengguru. L'objectif : évaluer la diversité fonctionnelle, génétique et morphologique de plusieurs groupes d'organismes marins (poissons récifaux, échinodermes?Regroupant notamment les étoiles de mer, les oursins, les concombres de mer, les échinodermes forment un embranchement d’animaux marins benthiques présents dans les profondeurs océaniques., coraux durs et gorgones), depuis la surface jusqu’à la zone mésophotique (- 100 mètres de profondeur) et même crépusculaire des récifs coralliens.

Les chercheurs ont déployé plusieurs techniques : observations, échantillonnage avec inventaire et description  morphologique, caractérisation des individus par code-barres ADN?Le code-barres ADN correspond au fragment standard d'ADN dont la séquence est caractéristique de l'espèce. Il est utilisé par les scientifiques comme technique de catalogage et d'identification moléculaire, appelée « barcoding »., systèmes vidéo sous-marins appâtés et ADN environnemental (ADNe)?L'ADN environnemental (ADNe) est une méthode qui consiste à rechercher des traces d'ADN à partir d’échantillons d’eau, de sol, de sécrétions ou de fèces, pour détecter la biodiversité présente ou environnante. Des échantillons d'eau de mer permettent ainsi de révéler la présence ou le passage d'organismes marins déjà connus ou non sur un site, voire de révéler une biodiversité furtive, cachée ou même insoupçonnée. L’ADNe a donc le potentiel de fournir des évaluations plus complètes de la biodiversité, en particulier pour les vertébrés dans les régions riches en espèces.. L'effort d'exploration et d'échantillonnage s’est concentré sur plusieurs pentes de récifs situés en face des chaînes Kumawa et Lengguru, dans et au large de Triton Bay (de - 100 m à la surface), en plongée recycleur en circuit fermé.
 

Extraire la diversité des unités taxonomiques opérationnelles 

Dans cette étude, les chercheurs ont recueilli des échantillons d'eau de mer au cœur du Triangle de Corail. Ils ont rencontré un problème : afin d’identifier précisément les espèces présentes dans la zone grâce à l’ADNe, il est nécessaire que leur code-barres ADN soit déjà connu. Or, pour beaucoup d'espèces, cette information n'est pas disponible, ce qui empêche de déterminer l'identité ou le nombre d'espèces pour lesquelles la séquence ADN a été retrouvée. Une alternative pour contourner cette limite consiste donc à extraire une diversité d'unités taxonomiques opérationnelles (OTU) du metabarcoding de l'ADNe?Le metabarcoding ADNe est une extension du barcoding qui permet, grâce à l'utilisation de nouvelle génération de technologies de séquençage, une identification de toutes les espèces présentes dans un échantillon, en aveugle et en une fois. Cependant, on ne sait pas dans quelle mesure la diversité des OTU fournie par un effort limité d'échantillonnage de l'ADNe peut prédire la diversité régionale des espèces.

Ainsi, les chercheurs ont modélisé les courbes d'accumulation des OTU sur des échantillons d'eau de mer recueillis. Ils ont obtenu une asymptote atteignant 1 531 OTU de poissons, alors que 1 611 espèces de poissons sont enregistrées dans la région. Par ailleurs, ils ont également réussi à prédire avec précision la distribution de la richesse des espèces parmi les familles de poissons à partir des asymptotes basées sur les OTU. « Grâce à l’ADNe, nous avons estimé très précisément la diversité des espèces de poissons dans la zone, avec un décalage de moins de 5 % par rapport aux observations historiques », souligne David Mouillot, professeur d’écologie marine à l’Université de Montpellier, co-auteur de l’étude. 

« La technique inaugurée ici dans un point chaud de biodiversité a été déployée et améliorée à de nombreuses reprises depuis cette étude, notamment lors de missions soutenues par les Explorations de Monaco », précise Régis Hocdé, ingénieur de recherche à l’IRD et responsable de l’expédition Lengguru 2017. « Cette technique permettra, nous l’espérons, de dévoiler une nouvelle facette de la biodiversité marine mondiale, avec des découvertes passionnantes ! ».

En 2019, le rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) rappelait l’ampleur de l’érosion de la biodiversité, généralisée à l’ensemble de la planète (près de 33 % des récifs coralliens menacés). Dans ce contexte, l’amélioration des techniques d’exploration de la biodiversité s’avère essentielle pour mettre en place des actions ciblées de protection des écosystèmes menacés. 


Référence : Juhel Jean-Baptiste, Utama Rizkie S., Marques Virginie, Vimono Indra B. , Sugeha Hagi Y., Kadarusman, Pouyaud Laurent, Dejean Tony, Mouillot David, Hocdé Régis. Accumulation curves of environmental DNA sequences predict coastal fish diversity in the Coral Triangle. Proceedings of the Royal Society B., 8 juillet 2020. 

Partenaires de l'étude :

  • Laboratoire MARBEC (MARine Biodiversity, Exploitation and Conservation – UM/CNRS/Ifremer/IRD), Montpellier, France
  • Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (UM/CNRS/IRD/EPHE, CIRAD, INRAP), Montpellier, France
  • Research Center for Oceanography, Indonesian Institute of Sciences, Jl. Pasir Putih 1, Ancol Timur, Jakarta Utara, Indonésie
  • Politeknik Kelautan dan Perikanan Sorong, Sumberdaya Genetik, Konservasi dan Domestikasi (POLTEK KP Sorong), Papouasie occidentale, Indonésie
  • SPYGEN, Bourget-du-Lac, France
  • ARC Centre of Excellence for Coral Reef Studies, Douglas, Australie

Soutiens :

Fondation Total, Tipco A. PCL, Bolloré, Les Explorations de Monaco, l’IRD et les unités mixtes de recherche MARBEC et ISEM, le LIPI RCO et RCB, L’IFI et l’ambassade de France à Jakarta, l’Ecole Polytechnique KP Sorong, le CNES, APDiving, BAUER compressors, La Palanquée, MARES, Seacam, InnOdive et la Fondation PETZL.

Pour aller plus loin

>> Décryptage IRD le Mag' "ADN environnemental, traqueur de biodiversité".

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