Comprendre comment les coraux répondent aux futures conditions océaniques est crucial pour anticiper le déclin des récifs coralliens et définir des actions de conservation. Deux chercheurs de l’IRD (UMR ENTROPIE), ont exploré l'idée originale selon laquelle la guerre des coraux peut être utilisée comme indicateur de performances des espèces dans divers environnements. Leur étude, publiée dans Royal Society le 15 juin 2022, suggère, qu'en Nouvelle-Calédonie, des espèces clés pour la construction des récifs, comme les coraux de la famille des Acroporidés, peuvent supporter un climat plus chaud mais souffrent de la dégradation des environnements côtiers.

Dans un contexte de changements environnementaux globaux, la prédiction des réponses des espèces aux environnements futurs est un défi crucial pour la préservation de la biodiversité et des bienfaits humains associés.

Il est essentiel de pouvoir anticiper les réponses des espèces aux environnements changeants, en particulier pour les écosystèmes vulnérables nécessitant une intervention rapide, ainsi que dans les régions en développement et les pays insulaires où la forte dépendance à l'égard des ressources naturelles exacerbe la vulnérabilité des socio-écosystèmes. Cela est particulièrement vrai pour les récifs coralliens, qui abritent une part importante de la vie marine et approvisionnent des moyens de subsistance à de nombreuses sociétés, mais qui sont en première ligne du déclin des écosystèmes dû à l'altération rapide de l'environnement côtier. La dégradation des récifs due au développement côtier, la pollution, la pêche et au changement climatique implique un déclin progressif de l'abondance, de la composition et de la taille des coraux, avec une perte progressive des espèces les plus vulnérables, en particulier à des stades de vie sensibles, altérant les fonctions clés de l'écosystème.

Coraux en compétition

© IRD - Mohsen Kayal

Mohsen Kayal et Mehdi Adjeroud, chercheurs à l'IRD (UMR Entropie), ont exploré l'idée originale selon laquelle les performances compétitives des coraux, c'est-à-dire leur capacité à combattre pour occuper l'espace sur le récif par le biais de guerres territoriales, pourraient servir d'indicateurs des niches écologiques des espèces, de leurs préférences environnementales et donc des réponses des coraux aux conditions futures.

La guerre des coraux, c'est quoi ?

Etouffement par croissance sur l'organisme ennemi

© IRD - Mohsen Kayal

Sur les récifs, la compétition directe pour l'espace est omniprésente lorsque des organismes voisins entrent en contact physique, les espèces s'engageant inévitablement dans une guerre pour la survie et la domination écologique. Sur la ligne de front (alias la zone de combat), les coraux ont la capacité d'envahir les territoires adverses en tuant les tissus vivants ennemis dans leur voisinage.

 

Cette bataille prend principalement deux formes : soit l'étouffement par croissance sur l'organisme ennemi, soit la désintégration à l'aide de tentacules d'attaque spécialisés riches en nématocystes, soit une combinaison des deux.

Comme les performances démographiques des coraux en matière de survie, de croissance et de reproduction varient avec la taille des colonies, les changements dans les capacités des coraux à défendre leurs territoires sont directement liés au succès écologique des espèces (c'est-à-dire leurs capacités à prospérer). Cette étude s'est concentrée spécifiquement sur la compétition directe pour l'espace (c'est-à-dire la guerre territoriale), laissant de côté la compétition indirecte pour la lumière, la nourriture et les autres ressources.

Plus de 1000 batailles inspectées dans le cadre de cette étude

Chercheur inspectant une compétition de coraux

© IRD - Mohsen Kayal

Mohsen Kayal et Mehdi Adjeroud ont observé les interactions compétitives des coraux dans le système récifal du sud-ouest de la Nouvelle-Calédonie.

Leurs travaux ont été réalisés sur 20 sites et sur une période de cinq mois afin de saisir la variabilité saisonnière avec un passage des conditions estivales plus chaudes et humides en janvier aux conditions hivernales plus fraîches et sèches en juin. Ils ont évalué les performances compétitives des coraux en inspectant les occurrences naturelles d'interactions physiques directes entre les coraux, ainsi qu'avec d'autres espèces benthiques sessiles, comme les algues, les éponges et les coraux-mous.

Au total, 1073 interactions compétitives ont été enregistrées, englobant 41 taxons et 8 morphotypes.

Cette approche empirique montre que les interactions entre les espèces, semblables à des batailles, sont influencées non seulement par des caractéristiques relatives aux organismes mais aussi par les conditions environnementales, et donc peuvent aider à identifier les gagnants et les perdants dans divers écosystèmes confrontés à des impacts humains croissants et au changement climatique.

Quels résultats et conclusions en tirer ?

L’étude indique que les performances compétitives des coraux varient en fonction de l'identité taxonomique, de la taille et de divers gradients environnementaux, mettant en évidence des interactions complexes entre l'histoire de vie des espèces, la stratégie de guerre employée et la ségrégation des niches écologiques.

Les résultats préviennent que les altérations croissantes des environnements côtiers peuvent déclencher des changements dans la dominance des coraux, avec le déclin des principaux taxons bâtisseurs de récifs comme les Acroporidés, et soulignent l'importance de limiter les impacts humains pour la résilience côtière.

« Nous avons constaté que les résultats de la guerre des coraux étaient influencés par les conditions environnementales. Il s'est avéré que des espèces clés pour la construction des récifs, comme les Acroporidés, peuvent tolérer un climat plus chaud que celui rencontré actuellement l’été en Nouvelle-Calédonie et dominer, mais souffriraient d'une dégradation croissante de l'environnement côtier. » soulève Mohsen Kayal.

Il poursuit : « Ces résultats ont de fortes implications pour la conservation des coraux face aux changements globaux, car les populations d'Acroporidés ont subi des mortalités massives à la suite d'événements de blanchiment quasi-annuels sur la Grande Barrière de Corail australienne, qui est située à seulement 2000 km de notre système d'étude. Concrètement, nos résultats suggèrent que les coraux Acroporidés de Nouvelle-Calédonie pourraient supporter un climat plus chaud si la dégradation des côtes est limitée. »

Alors que les changements globaux altèrent de plus en plus les environnements marins côtiers, certains écosystèmes devraient inexorablement s'effondrer tandis que d'autres pourraient se transformer en de nouvelles communautés d'espèces avec différentes compositions, structures et fonctions, des changements qui restent difficiles à prédire. Néanmoins, les trajectoires actuelles de dégradation côtière indiquent que les futurs récifs coralliens pourraient ressembler de plus en plus à ceux que l'on trouve aujourd'hui dans les environnements dégradés à proximité des concentrations humaines.

Cette étude suggère qu'une telle anthropisation entraîne une diminution des capacités de certains taxons coralliens majeurs à occuper l'espace sur le récif. Les coraux étant des espèces à croissance lente, constructrices des habitats critiques à la survie de nombreuses espèces, de telles différences dans leurs performances compétitives peuvent entraîner la disparition des populations les plus vulnérables, avec des implications pour la biodiversité des écosystèmes récifaux et les services écosystémiques qu'ils apportent aux sociétés.

Globalement, la performance compétitive apparaît comme un indicateur efficace, répandu et accessible des performances des espèces face à divers gradients écologiques. En tant que mesure des capacités des espèces dans un processus aussi coûteux et critique que la défense et l'expansion de leur espace vital, elle peut servir d'indicateur de la santé, de la capacité démographique et donc du succès écologique des espèces. De même que dans cette étude, les différences de performance compétitive peuvent aider à identifier les contraintes biologiques et environnementales sous-jacentes aux niches écologiques et préférences environnementales qui définissent la distribution des espèces, la coexistence et donc l'ampleur de la biodiversité.

« Étant donné les nombreuses voies écologiques qui relient les performances des espèces à leur environnement, nous encourageons des recherches quantitatives similaires afin de mieux comprendre les déterminants des interactions entre les espèces, à l'interface entre les traits évolutifs, les stratégies de vie et les changements globaux, et les implications pour la dynamique des écosystèmes dans un environnement changeant. » concluent les deux auteurs.


Référence : Kayal M., Adjeroud M. 2022 The war of corals: patterns, drivers and implications of changing coral competitive performances across reef environments. Royal Society Open Science 9: 220003.

 

Financement :

Cette étude a été soutenue par un financement du Laboratoire d'Excellence CORAIL.

 

Contacts chercheurs :

--