Deux experts partagent leurs points de vue sur le lien entre la perte de biodiversité et les maladies infectieuses émergentes.
Cet article est republié à partir du site du CIMMYT. Lire l’article original.
Alors que le monde concentre toute son attention sur le contrôle de la pandémie de COVID-19, la crise de la biodiversité est pointée comme l’une des causes majeures de son émergence. À première vue, les deux problèmes peuvent sembler sans rapport, mais les épidémies et la dégradation des écosystèmes sont profondément liés. Frédéric Baudron, agronome des systèmes au Centre International d'Amélioration du Maïs et du Blé (CIMMYT) et Florian Liégeois, virologue à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) partagent leurs réflexions sur la crise actuelle et le lien entre perte de biodiversité et émergence de maladies infectieuses.
Quelles tendances observons-nous dans l’émergence de maladies infectieuses telles que le COVID-19?
Nous constatons que les crises sanitaires mondiales liées aux maladies infectieuses émergentes (ou-ré-émergentes) sont de plus en plus fréquentes, même après correction du « biais d’observation », la surveillance de tels événements étant de plus en plus efficace et mieux financée dans les pays du Nord que dans les pays du Sud.
60% des maladies infectieuses sont des zoonoses (se transmettant des animaux aux humains), et 72% de ces zoonoses proviennent d’animaux sauvages. Le COVID-19 n'est que la dernière d'une longue liste de zoonoses ayant pour origine un animal sauvage, telles que le SRAS, Ebola, la grippe aviaire et la grippe porcine. Alors que les activités humaines continuent de dégrader les écosystèmes de la planète, nous verrons probablement d’autres pathogènes se transmettre d’un animal sauvage à l'homme dans le futur. Il s’agit donc de tirer la sonnette d’alarme quant à notre relation avec la nature en général, et avec la faune sauvage en particulier.
Pourquoi voyons-nous plus de cas de maladies transmises des animaux aux humains ? D'où proviennent-elles ?
Le trafic et la consommation de viande de brousse sont probablement à l’origine de l'émergence du COVID-19. L'émergence du SRAS et d'Ebola ont également été le résultat du trafic et de la consommation de viande de brousse. Cependant, l’analyse des épidémies de zoonoses causées par un pathogène ayant pour origine un animal sauvage révèle que les changements d’occupation des terres, généralement dus à des changements de pratiques agricoles, étaient la cause principale de ces émergences.
Les pathogènes ayant pour origine une espèce animale sauvage ont tendance à émerger dans des zones sanitaires « à risques » bien connues, qui sont généralement caractérisées par une grande biodiversité animale, côtoyant une forte densité de population humaine. Ces zones à risque ont également tendance à se trouver proches de l’équateur. Il est intéressant de constater que bon nombre d’entre elles sont situées dans des régions où les activités du CIMMYT et de l’IRD sont concentrées : Amérique Centrale, Afrique de l’Est et Asie du Sud. Ceci signifie, en plus du fait que les changements agricoles sont une cause majeure de l'émergence de zoonoses, que les chercheurs du CIMMYT et de l’IRD peuvent avoir un rôle à jouer dans la prévention de la prochaine pandémie mondiale.

© IRD - Florian Liégeois
Des chercheurs du Zimbabwe pénètrent dans la grotte des chauves-souris insectivores (Hipposideros caffer) pour effectuer un échantillonnage fécal pour la recherche virale.
De quelle manière la perte de biodiversité et les changements d’occupation des terres provoquent-ils une augmentation des zoonoses ?
Il y a au moins trois mécanismes en jeu. Premièrement, un contact accru entre la faune, les hommes et leur bétail en raison de leur empiètement sur les écosystèmes. Deuxièmement, la forte présence des espèces sauvages les plus capables d'infecter les Hommes et/ou leur bétail - souvent des rongeurs et des chauves-souris - parce qu'elles prospèrent dans les paysages dominés par l'homme. Troisièmement, les espèces sauvages qui survivent dans les écosystèmes simplifiés ont tendance à être infectées par plus de pathogènes. Dans les écosystèmes non perturbés – plus complexes - les pathogènes ont tendance à être « dilués ».
L'augmentation rapide de la population humaine et de son bétail signifie qu'ils interagissent plus, et plus fréquemment, avec les espèces animales sauvages et les agents pathogènes qu'elles transportent. Aujourd'hui, 7.8 milliards d'humains exploitent presque tous les écosystèmes de la planète. Le bétail a accompagné les hommes dans la plupart de ces écosystèmes et est maintenant beaucoup plus abondant que tous les vertébrés sauvages confondus : il y a 4.7 milliards de bovins, porcins, ovins et caprins et 23.7 milliards de poules et poulets sur terre ! Nous vivons sur une planète de plus en plus « cultivée », avec de nouveaux assemblages d'espèces et de nouvelles opportunités pour les pathogènes de passer d'une espèce à l'autre.
Le trafic d’animaux sauvages et la consommation de viande de brousse ont reçu beaucoup d'attention en tant que cause principale de la propagation de ces virus. Pourquoi y a-t-il eu comparativement peu de discussion sur le lien avec la perte de biodiversité ?
Le problème de la perte de biodiversité en tant que cause de l'émergence de zoonoses est complexe : il n'a pas de solution simple, similaire à l'interdiction des marchés de viande fraîche en Chine. Il est difficile de communiquer ce problème efficacement au public. Mettre fin au trafic et à la consommation de viande de brousse obtient facilement un soutien public, car le lien avec le risque d’émergence de maladies apparait clairement, et bon nombre d’espèce dont proviennent la viande de brousse sont des espèces emblématiques, telles les grands singes et les pangolins. Le trafic et la consommation de viande de brousse offrent également au public un moyen facile de rejeter la faute sur l’autre : il s'agit d'un problème local plutôt que mondial et pour la plupart d'entre nous, un problème éloigné.
Il y a une vérité qui dérange dans la crise de la biodiversité : nous y contribuons tous à travers nos modes de consommation. Pensez à votre consommation annuelle de café, thé, chocolat, sucre, textiles, poisson, etc. Mais la crise de la biodiversité n'est souvent pas perçue comme un problème mondial, ni comme un problème urgent. La couverture médiatique de la crise de la biodiversité est huit fois inférieure à celle de la crise climatique.

Les petits exploitants défrichent les forêts pour l'agriculture, mais ils ont également un impact sur les forêts par le pâturage du bétail et la récolte de bois de feu, comme sur cette photo dans la forêt de Munesa, en Éthiopie.
© CIMMYT - Frédéric Baudron
L'agriculture est une cause majeure des changements d'occupation des terres et de perte de biodiversité. Que peuvent faire les producteurs pour préserver la biodiversité, sans perte de rendement ?
Les pratiques agricoles qui réduisent l'impact sur la biodiversité sont bien connues et constituent le fondement de « l’intensification durable », qui est également le thème d’un programme de recherche du CIMMYT. Nous pouvons réfléchir à ce que nous pouvons faire collectivement pour aider les producteurs à adopter ces pratiques. Des politiques publiques adaptées, comme le remplacement des subventions par des incitations qui favorisent l'adoption des pratiques d’intensification durable, et des mesures économiques adaptées, telles que l’utilisation de certifications et de labels, font partie de la solution.
Mais ces mesures sont sans nul doute insuffisantes à elles seules, car une grande partie de la production agricole mondiale n’entre pas sur le marché, mais est consommée par les petits producteurs familiaux qui la produisent.
La réduction de l'impact négatif de la production agricole sur la biodiversité nécessitera un effort mondial et concerté similaire aux accords de Paris pour le climat. La pandémie de COVID-19 ayant bouleversé la planète, des mesures fortes seront sans doute prises à l'échelle mondiale pour prévenir la prochaine pandémie. Certaines de ces mesures pourraient cependant aller trop loin et finir par menacer la survie des populations rurales des pays du Sud, en particulier les plus vulnérables. Par exemple, recommander une ségrégation des activités humaines et de la biodiversité, en maximisant les rendements sur des surfaces agricoles aussi petites que possible – une approche connue sous le terme anglais de « land sparing » - est tentant pour réduire la possibilité de transmission de pathogènes entre les espèces animales sauvages et les humains et leur bétail. Mais l’agriculture dépend des services écosystémiques maintenus par la biodiversité, tels que le maintien de la fertilité des sols, le contrôle des ravageurs et la pollinisation. Ces services sont particulièrement importants pour les petits producteurs familiaux des pays du Sud qui ont tendance à utiliser peu d'intrants externes.
Comment éviter que des pandémies telles que le COVID-19 ne se reproduisent à l’avenir ?
Il ne fait aucun doute que de nouveaux pathogènes émergeront. D'abord et avant tout, nous devons être en mesure de contrôler les maladies infectieuses émergentes le plus tôt possible. Cela nécessite un investissement accru dans la surveillance des maladies et dans les systèmes de santé des pays où la prochaine maladie infectieuse a le plus de probabilité d'apparaître. Parallèlement, nous devons également réduire la fréquence de ces épidémies en conservant et en restaurant la biodiversité à l'échelle mondiale, et particulièrement dans les zones à risque pour l'émergence des maladies infectieuses.
L'agriculture est l’une des causes principales de la perte de biodiversité dans ces régions, mais elle est également l’une des principales sources de subsistance. La responsabilité de réduire l'impact de l'agriculture sur la biodiversité dans les zones d'émergence des maladies infectieuses ne peut pas être laissé aux agriculteurs locaux, souvent de petits producteurs pauvres : elle devra être partagée par tous.
Référence
Baudron, F., & Liégeois, F. (2020). Fixing our global agricultural system to prevent the next COVID-19. Outlook on Agriculture. https://doi.org/10.1177/0030727020931122