La reproduction clonale par l’intermédiaire de graines, ou apomixie, existe dans la nature mais pas chez les espèces cultivées. Ce mode alternatif représente pourtant un potentiel énorme pour l’agriculture durable car il permettrait de conserver des génotypes d’intérêt. Une étude récente, publiée par un consortium pluridisciplinaire réunissant biologistes des plantes et modélisateurs, éclaire les mécanismes biologiques sous-jacents à l’apomixie.

Eviter la loterie que représente le mélange des gènes consécutif à la reproduction sexuée est le rêve des agriculteurs… pouvoir obtenir des graines avec une reproduction clonale à volonté qui produit des plantes génétiquement identiques d'une génération à l'autre fait donc l’objet de recherches acharnées.

Visualisation 3D et coupe optique d'un ovule montrant les cellules digitalisées et la cellule sexuée (en jaune) / 3D visualization and optical section of an ovule showing digitalized cells and the germ cell (in yellow)

© IRD - D.Autran et UZH - C. Baroux & E. Mendocilla-Sato

Etudier l’architecture des ovules pour comprendre l’apomixie

Le premier évènement différenciant la reproduction sexuée de l’apomixie?forme de multiplication asexuée, sans fécondation, qui fait intervenir la graine sans qu'il y ait union entre gamètes mâles et femelles a lieu au sein de l’organe reproducteur femelle, l’ovule. Chez les espèces sexuées (animales ou végétales), une cellule unique transite d’une identité́ cellulaire somatique?non sexuée vers une identité́ germinale?sexuée. Celle-ci va subir la méiose?processus de double division cellulaire permettant la formation de gamètes ou cellules sexuelles, puis former une cellule œuf qui, après fécondation, donnera un embryon et un nouvel individu. « Chez les espèces végétales apomictiques, explique Daphné Autran, biologiste à l’UMR DIADE, d’autres cellules de l’ovule sont capables de former un œuf sans passer par la méiose, donnant ainsi un embryon clone de la plante mère ». Cette plasticité développementale importante des cellules de l’ovule détermine le mode de reproduction. La compréhension des mécanismes de cette plasticité est l’objectif qui réunit une communauté internationale de laboratoires académiques et privés. Même si de nombreux gènes candidats ont été identifiés, reste à savoir comment sont coordonnés ces multiples facteurs. « Nous avons posé l’hypothèse que les paramètres architecturaux des ovules, c’est-à-dire les patrons de croissance et de divisions des cellules les constituant, déterminent la formation des cellules germinales femelles et leur plasticité », ajoute la biologiste.   

Simulation biomécanique de la croissance des ovules / Biomechanical simulation of ovule growth.

© UZH - G. Mosca

Une approche pluridisciplinaire pour élucider la biomécanique des ovules des plantes

Mais les ovules des angiospermes?plantes à fleurs  sont difficilement accessibles car enfermés dans des pièces florales. Pour pouvoir suivre le développement des ovules, les scientifiques ont eu recours à la microscopie en profondeur, en trois dimensions, et à résolution cellulaire, permettant une analyse quantitative de la croissance. « L’ovule est un objet biologique relativement simple, constitué de peu de cellules, et donc particulièrement adapté à la modélisation, précise Daphné Autran. Nos partenaires modélisateurs du projet pluridisciplinaire IMAGO ont développé des ovules virtuels, intégrant un grand nombre de paramètres de croissance, modulables séquentiellement pour tester leur importance respective ». Cette approche prédictive a défini les scénarios les plus plausibles expliquant la croissance des ovules et la forme particulière des cellules germinales. Enfin, l’analyse de marqueurs moléculaires des comportements cellulaires et de mutants affectés dans ces processus, a permis de tester fonctionnellement les hypothèses formulées.

Architecture cellulaire d’un ovule apomictique de Paspalum rufum (microscopie confocale sur tissus transparisés) / Cellular architecture of the Paspalum rufum ovule (confocal microscopy on cleared tissues)

© IRD - D. Autran et UNR/CONICET, Argentine - L. Delgado

La plasticité précoce des cellules germinales dépend de l’architecture de l’ovule

Les scientifiques ont construit un nouveau cadre de référence, en 3D, des règles du développement précoce de l’ovule chez Arabidopsis dont les secrets se dévoilent peu à peu. Ainsi, la formation des cellules germinales a lieu plus tôt que précédemment décrit et une plasticité précoce existe même dans les ovules des plantes sexuées, qui est ensuite restreinte pour une donner une seule cellule germinale dans chaque ovule. De plus, la géométrie de l’ovule serait un paramètre crucial de contrôle de cette plasticité, et potentiellement, de la transition vers le mode de reproduction apomictique si pratique pour les sélectionneurs. Reste à tester ces hypothèses - validées fonctionnellement chez l’espèce modèle – sur des plantes cultivées. C’est l’objet de nouvelles collaborations nationales, européennes et internationales qui s’attaquent au défi chez une céréale cultivée sexuée, le maïs, et sur un modèle de graminée apomictique, Paspalum, une importante plante fourragère en Amérique du Sud.


Publication : Hernandez-Lagana E, Mosca G, Mendocilla-Sato E, Pires N, Frey A, Giraldo-Fonseca A, Michaud C, Grossniklaus U, Hamant O, Godin C, Boudaoud A, Grimanelli D, Autran D, Baroux C. 2021. Organ geometry channels reproductive cell fate in the Arabidopsis ovule primordium, Elifehttps://doi.org/10.7554/eLife.66031


Aller plus loin :

Thumbnail

Contact science : Daphne Autran, IRD, UMR DIADE daphne.autran@ird.fr
 

Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet communication.occitanie@ird.fr