Dans cet article d’opinion, deux chercheuses de l’UMR ISEM proposent un mécanisme potentiellement universel qui pourrait être le médiateur physiologique entre l’environnement social et la santé chez la plupart des espèces animales sociales étudiées y compris chez l'humain. Leur hypothèse, basée sur la transmission des communautés microbiennes, est publiée dans iScience.
Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai comment tu vas… L’Homme, comme de nombreux autres mammifères, est une espèce sociale. Et si cette socialisation avait aussi des effets physiologiques ? Quel en serait le médiateur ?
Des liens avérés entre socialisation et santé
Chez de nombreux mammifères sociaux, la vie sociale précoce et l’intégration sociale à l’âge adulte prédisent en grande partie la santé, la durée de vie et le succès reproducteur des individus. Quant aux humains, la qualité de l'environnement social est l'un des indicateurs les plus puissants de leur santé et longévité. Ce lien très répandu dans la nature étant démontré, reste à en expliquer les mécanismes responsables. « Jusqu’à présent, la recherche s’est principalement concentrée sur le stress chronique en tant que médiateur physiologique entre l’environnement social et la condition physique, déplore Marie Charpentier, écologue du comportement au CNRS (UMR ISEM). De plus, ces preuves d’une causalité sociale entre le stress et la forme physique proviennent principalement de la recherche biomédicale sur des animaux de laboratoire. » Mais en dehors de cette situation très particulière, quels sont les mécanismes en population naturelle ?
Interactions entre communautés microbiennes et communautés animales
Tout individu se trouve être un écosystème à lui seul, abritant diverses communautés de microorganismes internes et externes. Ces microbiotes qui font de plus en plus parler d’eux se nichent dans les intestins, sur la peau, etc. La dernière décennie de recherche a révélé comment ces communautés microbiennes participent à la régulation de pratiquement tous les aspects de la biologie de leur hôte tout au long de sa vie, de la nutrition au système immunitaire en passant par la sécrétion des hormones. Il est aussi admis qu’une communauté microbienne plus diversifiée induit un meilleur fonctionnement du métabolisme et un état de santé optimal. Cela parait intuitif de penser qu’à l’occasion de contacts individuels ou de groupe, des échanges de microorganismes aient lieu. Ce qui a permis aux chercheuses de poser leur hypothèse. « Pour expliquer le lien entre relations sociales et santé, nous proposons un mécanisme alternatif, non exclusif, reposant sur des effets à médiation microbienne », annonce Alice Baniel, spécialiste en microbiologie et écologie comportementale à l’IRD (UMR ISEM). Ce mécanisme qui s’appuie sur le microbiote social - c'est à dire « la communauté bactérienne échangée lors de contacts physiques entre partenaires sociaux » - serait responsable de la meilleure survie, santé et reproduction chez les individus les mieux intégrés socialement. Précision utile : ce microbiote social ne provient pas de l'environnement physique, que ce soit par l’alimentation, le sol ou l’eau.
Un avantage sous-estimé de la vie en groupe
« Les communautés microbiennes seraient acquises à partir des congénères via deux mécanismes distincts : une transmission verticale directement du parent à la progéniture en début de vie et une transmission sociale horizontale à l’âge adulte via les relations socio-sexuelles », ajoutent les deux chercheuses. Ainsi le microbiote hérité de la mère pendant et peu après la naissance influence à la fois la diversité et la composition du microbiote de la progéniture qui continue ensuite d'être façonné par les contacts sociaux avec des congénères tout au long de sa vie. Ces communautés microbiennes élargies favoriseraient la résistance aux agents pathogènes, constituant ainsi un avantage sous-estimé de la vie en groupe. Plus de 90 % des études actuelles se sont concentrées sur le microbiote gastro-intestinal, mais les microbes présents dans d’autres sites corporels (bouche, nez, peau, appareil génital) apparaissent comme des candidats prometteurs pour comprendre ces avantages et devront être étudiés. Par ailleurs, la plupart des études sur les relations hôte-microbiote ont été menées soit chez des humains occidentaux soit chez des rongeurs de laboratoire, ce qui en restreint la portée. Marie Charpentier et Alice Baniel s’attellent donc à tester leur hypothèse sur la seule population naturelle au monde de mandrills habitués à l’Homme et suivis depuis 12 ans au Gabon (Parc de la Lékédi, Bakoumba). Leurs résultats, acquis dans le cadre du projet Mandrillus créé par Marie Charpentier, seront prochainement publiés.
Publication : Baniel A., Marie J.E. Charpentier M.J.E. 2024. The social microbiome: The missing mechanism mediating the sociality-fitness nexus ?, iScience, Volume 27, Issue 5, 109806, ISSN 2589-0042, https://doi.org/10.1016/j.isci.2024.109806
Contacts science : Alice Baniel, IRD, ISEM alice.baniel@ird.fr
Marie Charpentier, CNRS, ISEM marie.charpentier@cnrs.fr
Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet communication.occitanie@ird.fr