Parmi les causes de dégradation des sols figure la salinisation. Une équipe de chercheurs sénégalais en collaboration avec des scientifiques de l’UMR PHIM a testé les performances d’arbres naturellement plus tolérants au sel et inoculés par des bactéries et/ou des champignons symbiotiques. Leurs résultats sont publiés dans le Journal of Forest Research.

Réhabiliter les sols salinisés par des végétaux rendus plus tolérants nécessite de bien connaître les potentialités des candidats et de leurs auxiliaires symbiotiques.

Filaos au Sénégal

© IRD - Laurent Laplaze

Le sel, ennemi des sols et des plantes

La salinisation des sols est un phénomène qui progresse rapidement sur tous les continents et affecte en particulier les surfaces agricoles. Selon la FAO?Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, elle touche 160 millions d’hectares de terres cultivées dans le monde. Le changement climatique et l’utilisation croissante des eaux souterraines pour l’irrigation intensifient cette dégradation. Pour y remédier, la FAO a lancé depuis 2018 un programme de réhabilitation de ces sols salinisés. La plantation de végétaux tolérants au sel fait partie des solutions avancées. Encore faut-il planter les bonnes espèces ! « La famille des Casuarinacées ou filaos est connue pour sa tolérance à la salinité, avancent Valérie Hocher & Sergio Svistoonoff, chercheur.e.s IRD co-auteurs de cette étude développée au Sénégal sous l’impulsion de Nathalie Diagne, chercheuse de l’ISRA. Les filaos ont des propriétés d’adaptation aux sols pauvres, en particulier parce qu’ils développent deux sortes de symbioses au niveau de leurs racines : en interaction avec des bactéries du genre Frankia d’une part, et, d’autre part, avec des champignons mycorhiziens », précisent les chercheur.e.s. Ces auxiliaires symbiotiques leur procurent un coup de pouce appréciable en terme de nutrition azotée et phosphatée et semblent aussi améliorer la tolérance à la salinité.

Cellules foliaires de filaos en microscopie électronique à transmission. Une forte concentration en sel affecte la structure des cellules de l’espèce C. equisetifolia (gauche). L’espèce C. obesa montre une meilleure conservation (droite)

© IRD - Djighaly et al., 2022

Des tolérances différentes selon les espèces de filaos

Les filaos sont des arbres originaires d’Australie dont les propriétés d’adaptation varient selon les espèces. Pour l’étude menée, deux espèces ont été testées dans différentes conditions de culture avec leur(s) partenaire(s) symbiotique(s) : Casuarina equisetifolia largement implantée au Sénégal et C. obesa, répertoriée plus tolérante à la salinité. Pape Djighaly, en thèse?Université de Ziguinchor, Laboratoire commun de Microbiologie (Institut Sénégalais des Recherches Agricoles (ISRA), Université Cheikh Anta Diop (UCAD), IRD) - LMI LAPSE, a testé les performances de jeunes plants inoculés soit avec la bactérie Frankia seule, soit avec le champignon Rhizophagus fasciculatus, soit avec les deux. « Au bout de 4 mois avec arrosage en solution saline à des concentrations croissantes, nous avons vérifié les effets du sel sur la croissance des plants et mesuré des paramètres indicateurs de l’état de stress de la plante et de de l’intégrité des cellules de feuilles », expliquent les chercheurs. Il faut savoir qu’en trop grande quantité dans les sols, le sel provoque une augmentation du stress oxydatif qui perturbe le métabolisme des végétaux et peut conduire à leur dépérissement total. En condition non symbiotique, Casuarina obesa se montre nettement plus tolérante au sel, elle se protège mieux en limitant ses pertes en eau. Dans les conditions de l’étude, cette espèce affiche une biomasse supérieure (allant de 2 à 3 fois plus) à celle de l’espèce sénégalaise selon les conditions salines.

Ces nodules fixateurs d’azote résultent de l'association symbiotique entre les racines de la plante hôte Casuarina et son microorganisme symbiotique Frankia.

© IRD - Claudine Franche

Bien choisir plantes et symbiontes est stratégique

En condition symbiotique, le nombre de nodules?Signe de symbiose fixatrice d’azote avec Frankia et d’arbuscules?Signe de symbiose mycorhizienne  est le même pour les deux espèces quand la concentration en sel reste modérée (inférieure ou égale à 11g/L). Si celle-ci double, les symbioses deviennent moins fréquentes dans les deux espèces mais C. obesa tire mieux son épingle du jeu avec 2 à 3 fois plus de mycorhization et/ou de nodules. Des approches de biochimie ont révélé qu’elle produit davantage d’enzymes et autres substances (tannins, phénols, flavonoïdes) à action anti-oxydantes protectrices. De façon intéressante, cette production augmente lorsque les plantes développent des interactions symbiotiques. Ces résultats sont confirmés par des observations en microscopie électronique : les cellules foliaires de C. obesa conservent leur intégrité aux fortes concentration saline. La tolérance au sel accrue de C. obesa s’intensifie après inoculation avec des bactéries fixatrices d’azote et /ou des champignons mycorhiziens. « Ces résultats sont très prometteurs, ajoute Nathalie Diagne, mais il faut maintenant tester ces performances en conditions réelles ». En conclusion, le rôle potentiel des symbioses dans la tolérance des plantes à la salinité est confirmé mais l’étude met l’accent sur l’importance de bien sélectionner les espèces végétales et leurs symbiontes afin d’assurer une meilleure efficacité dans les programmes de réhabilitation des sols salés.


Publication : Pape Ibrahima Djighaly, Nathalie Diagne, Daouda Ngom, Keren Cooper, Sarah Pignoly, Valérie Hocher, Jill M. Farrant & Sergio Svistoonoff (2022) Effect of symbiotic associations with Frankia and arbuscular mycorrhizal fungi on antioxidant activity and cell ultrastructure in C. equisetifolia and C. obesa under salt stress, Journal of Forest Research, 27:2, 117-127, DOI: 10.1080/13416979.2022.2037837

Contacts science : Sergio Svistoonoff, IRD, UMR PHIM sergio.svistoonoff@ird.fr


Nathalie Diagne, ISRA/CNRF nathaliediagne@gmail.com
 

Contacts communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet communication.occitanie@ird.fr

 

Cet article a été écrit dans le cadre du projet Planet@liment.

 

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