Les canopées des forêts tropicales pourraient être plus proches des seuils de température critiques pour la photosynthèse qu'on ne le pensait jusqu’à présent. C’est ce que démontre une étude, menée par des chercheurs de différents organismes de recherche, dont l’IRD, et publiée le 23 août dans Nature. Limiter, même modérément, le changement climatique, pourrait éviter d’atteindre ces seuils dangereux.

L’étude, qui combine des données thermiques satellitaires et des données d'expériences de réchauffement in situ provenant de plusieurs sites de forêts tropicales dans le monde, examine la variation des températures des feuilles des arbres qui composent la canopée. L’étude démontre que certaines feuilles atteignent des températures beaucoup plus élevées que la moyenne de la canopée. Une petite proportion de feuilles dépasse même le seuil au-delà duquel elles ne peuvent plus fonctionner, ce qui laisse supposer qu'à mesure que le changement climatique se poursuit, des canopées entières pourraient mourir. Ces résultats sont d’une grande importance car les forêts tropicales abritent la majeure partie de la biodiversité mondiale et sont des régulateurs clés de notre climat.

Jusqu’à présent, la mesure précise des températures des feuilles et de la canopée des forêts tropicales était difficile et fastidieuse. En combinant des mesures au sol des températures des feuilles et des expériences de réchauffement des feuilles sur trois continents avec des données satellitales à haute résolution du nouvel instrument d'imagerie thermique de la Station spatiale internationale (ISS), les chercheurs ont estimé les températures actuelles des feuilles des forêts tropicales. Cette méthode a également permis de modéliser l’évolution de leurs températures au regard du réchauffement climatique anthropique en cours. 

L'un des principaux résultats est l’estimation de la proportion de feuilles susceptibles d'approcher des températures critiques selon différents scénarios de réchauffement climatique (+2, +3 et +4°C). L'étude regroupe des données sur le réchauffement des feuilles de canopées du Brésil, de Porto Rico et d'Australie. Elle montre qu’en moyenne 1 % des feuilles ont dépassé, au moins une fois par an, les seuils de température critique, estimés à 46,7 °C. 

« Nous avons été très surpris de constater que, lorsque nous réchauffions les feuilles de 2, 3 ou 4°C, les températures les plus élevées augmentaient en fait de 8°C. Cela montre une rétroaction inquiétante à laquelle nous ne nous attendions pas », a déclaré Christopher E. Doughty, professeur associé d'éco-informatique à l'Université de l'Arizona du Nord. 

Les auteurs ont également estimé les températures maximales de la canopée de toutes les forêts tropicales d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Asie du Sud-Est à l'aide de l'ECOsystem Spaceborne Thermal Radiometer Experiment on Space Station (ECOSTRESS-NASA), qui fournit une combinaison d'images thermiques de résolution spatiale et temporelle inédites. Ils ont constaté que, pendant les périodes sèches et chaudes, la canopée forestière pouvait dépasser les 40°C. 

« Nous avons pu mesurer la température des arbres directement à une résolution incroyablement élevée, depuis l'espace, en utilisant la détection infrarouge thermique », précise Joshua Fisher, chercheur à Chapman University et co-auteur de l’étude.

Les auteurs ont examiné l'impact de l'augmentation des températures de l'air en tenant compte d’une fréquence plus importante des épisodes de sécheresse, ce qui augmente la température de l'air et réduit la capacité de refroidissement des plantes par évaporation, accélérant ainsi le réchauffement des feuilles et la mortalité des arbres. Dans ce modèle, les feuilles mortes ne contribuent plus au refroidissement, ce qui accélère encore le réchauffement de la canopée.

« Ces projections nous aident à identifier les risques de l’inaction et la nécessité d'atténuer le changement climatique », selon Imma Oliveras, directrice de recherche à l'IRD.

Les forêts tropicales jouent un rôle clé en abritant la biodiversité et en régulant le climat mondial. Ainsi, la connaissance de leur avenir peut permettre de comprendre et d’anticiper les trajectoires environnementales futures de notre planète. « En évitant les scénarios à fortes émissions et la déforestation, nous pouvons protéger les cycles critiques du carbone et l'eau, et le destin de la biodiversité », conclut Christopher E. Doughty.


Référence 

Christopher E. Doughty, Jenna M. Keany, Benjamin C. Wiebe, Camilo Rey-Sanchez, Kelsey R. Carter, Kali B. Middleby, Alexander W. Cheesman, Michael L. Goulden, Humberto R. da Rocha, Scott D. Miller, Yadvinder Malhi, Sophie Fauset, Emanuel Gloor, Martijn Slot, Imma Oliveras Menor, Kristine Y. Crous, Gregory R. Goldsmith & Joshua B. Fisher 

Tropical forests are approaching critical temperature thresholds, Nature, 23 août 2023. 


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