Face à la croissance du taux d’obésité sur le continent africain, il est loin d’être inutile de se pencher sur les préférences en matière d’apparence corporelle féminine. Des scientifiques de l'UMR MOISA et leurs partenaires* ont mené une revue de synthèse pour traquer les perceptions à ce sujet et leur influence sur les pratiques alimentaires.

Entre traditions et normes occidentales mondialisées, comment évolue la représentation du corps des femmes vivant en Afrique ? La réponse est nuancée et varie selon différents paramètres.

Les hommes préfèrent-ils encore les rondes ?

Si le culte de la minceur pèse encore lourd sur les femmes occidentales, les rondeurs féminines restent largement appréciées dans les pays d'Afrique et du Moyen-orient. Mais l’évolution de la femme ronde à la femme en surpoids voire obèse devient un problème de santé publique?En Afrique, le surpoids – y compris l’obésité – est passé de 33 % en 2000 à 42,9 % en 2016 chez les femmes. qui nécessite une réponse appropriée. « Afin de repérer les perceptions sur le poids corporel, nous avons analysé 73 articles scientifiques issus de 21 pays africains?L’Afrique compte 54 États. », explique Michelle Holdsworth, co-auteur de la revue publiée dans Public Health Nutrition. Les études étaient de nature qualitative et quantitative, représentatives tant du milieu urbain que rural. Un premier constat s’impose : la perception qu’une femme a de son corps variera du positif au négatif selon que ses mensurations se rapprochent ou non des normes socio-culturelles en présence.

Répartition géographique des études analysées par Pradeilles et al., 2021

© Pradeilles et al., 2021

Vente de lait par des femmes d'éleveurs foulbé sur un marché, région d'Hadjer Lamis.

© IRD - Marianne Donnat

Des normes corporelles en transition

Historiquement, en Afrique, ce sont les femmes rondes qui sont considérées comme les plus belles, et ceci aussi bien de l’avis des hommes que des femmes elles-mêmes. Une corpulence ++ est associée à la féminité, fécondité, bonne santé. A tel point que des pratiques de « gavage forcé » des filles dès leur plus jeune âge persistent dans certaines populations rurales d’Afrique du nord ou subsaharienne qui souhaitent rendre plus désirables leurs filles à marier. Au-delà de cet extrême, il est compréhensible, dans un contexte de pauvreté chronique ou de sociétés rurales exposées à la famine de manière récurrente, qu’un corps potelé fasse figure de silhouette idéale plus ou moins inaccessible. Toutefois, avec la mondialisation de l’apologie de l’extrême minceur, les jeunes générations d’africaines – noires ou blanches – lorgnent de plus en plus vers cet idéal venu de l’Occident. D’autant qu’à l’adolescence, le regard des pairs (de la même classe d’âge) est très important. « Nous constatons des dichotomies, ajoute la nutritionniste de l’IRD. Les populations rurales, pauvres, valorisent les corps en surpoids tandis que les jeunes urbaines préfèrent la minceur ». Outre l’âge, la zone géographique et la condition socio-économique, le niveau d’éducation est un paramètre qui joue un rôle non négligeable.

Vendeuse de bananes en Afrique

© Adobe stock

Des femmes corpulentes bien dans leur peau

Malgré cette nouvelle tendance, les rondes ont encore de beaux jours devant elles si l’on en croit les résultats d’enquêtes auprès des femmes d’un township de Cape Town. « 74 % des femmes interrogées estiment qu’être bien en chair procure de la dignité », avance Michelle Holdsworth. Les femmes en surpoids sont d’ailleurs fières et bien dans leur peau tandis que la maigreur fait suspecter une maladie, des problèmes ou un mari maltraitant. « L’inquiétude de paraître sidéen vient d’ailleurs renforcer la valorisation sociale de l’embonpoint dans un contexte d’urbanisation où pourtant la valorisation de la minceur gagne du terrain », renchérit Emmanuel Cohen, chercheur au CNRS et l’un des collaborateurs de ce travail. Le regard sur soi est indissociable du regard sur les autres :  que ce soit au Kenya, au Cameroun, au Nigéria, en Afrique du Sud, en Tunisie, au Maroc ou au Ghana, près du tiers des femmes enquêtées sous-estiment systématiquement leur classe de poids… Sauf les plus jeunes qui, elles, se voient toujours plus grosses qu’elles ne le sont. Pour être efficaces, les politiques de santé publique visant à lutter contre la montée de l’obésité en Afrique doivent prendre en compte les facteurs influençant la perception corporelle ainsi révélés par la revue de synthèse.

* institutions universitaires et hospitalières de Grande-Bretagne et d’Afrique du sud, UMR « Eco-anthropologie », Musée de l’Homme (Paris)


Publication : Pradeilles, R., Holdsworth, M., Olaitan, O., Irache, A., Osei-Kwasi, H., Ngandu, C., & Cohen, E. 2021. Body size preferences for women and adolescent girls living in Africa: A mixed-methods systematic review. Public Health Nutrition, 1-22. doi:10.1017/S1368980021000768

Exemple de silhouettes utilisées pour évaluer les préférences en matière de morphologie féminine avec des modèles africains

© Cohen et al., 2020

Cet article a été écrit dans le cadre du projet Planet@liment.

Contact science : Michelle Holdsworth, IRD, UMR MOISA michelle.holdsworth@ird.fr
 

Contact communication : Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet communication.occitanie@ird.fr