Marion Valeix est écologue, un rêve d'enfance devenu réalité même si tout petite elle s’est souvent entendu dire qu’il n’existait pas de tel métier. Elle a également persévéré lorsque, sur le terrain, elle s’est fait poursuivre par des lions, enjamber par un éléphant, piétiner par une hyène, voler une couverture par une autre, et presque cracher dessus par un cobra (pas tout dans la même journée ceci-dit). Et dans un contexte plus large, elle souligne : « je suis chercheuse, et j’ai la chance d’avoir un compagnon qui partage mes passions et deux enfants : j’ai réussi à concilier vie personnelle et vie professionnelle. C’est possible ». Marion n’a rien lâché.
Si la scientifique est rattachée à des laboratoires de recherche du CNRS en France (au Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive (LBBE) à Lyon et au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE) à Montpellier), c’est bien en Afrique australe qu’elle mène ses recherches de terrain sur les grands mammifères. D’ailleurs, des étoiles brillent dans ses yeux quand elle décrit avec émerveillement les savanes à perte de vue non-clôturées du Zimbabwe, ce qui se fait rare dans le reste de l’Afrique.
Oscillant entre mérite et hasard, sur un fond de bienveillance qui n’a d’égal que sa détermination, Marion Valeix se raconte, le temps d’un entretien.
Le long chemin vers la biodiversité
Marion a passé son enfance en Guyane française, au contact d’une nature équatoriale primaire et époustouflante qui a fait naître en elle ce désir profond de la comprendre et de la protéger. Petite, c’était son rêve de travailler sur la biodiversité et les grands animaux (ceux-ci surtout parce que ce sont les plus connus quand on est enfant) et essayer de faire quelque chose d’utile pour leur conservation. Cependant, plusieurs personnes l’en ont découragé, lui disant – à tort – qu’il n’y a pas de « vrai » métier qui permet de travailler sur la conservation de la biodiversité. Marion s’est alors dirigée vers ce qui semblait être à l’époque le parcours le plus proche de ses aspirations : une prépa BCPST (biologie, chimie, physique et sciences de la terre) pour intégrer l’école AgroParisTech (anciennement INA P-G) dans l’espoir d’être acceptée ensuite à l’ENGREF (Ecole Nationale du Génie Rural, des Eaux et des Forêts) qui prépare aux métiers liés à la gestion des aires protégées françaises.
Le millénaire des possibles
Marion fait partie de ces premiers étudiants et étudiantes qui ont pu expérimenter le format des « années de césure ». Elle postule partout, à travers le monde, écrivant dans ses lettres sa soif d’acquérir de nouvelles compétences. Elle reçoit un retour du CIRAD avec une offre à la clé : partir un an en tant qu’assistante d’un doctorant, Mathieu Bourgarel, dans le parc national de Hwange au Zimbabwe. Elle se souvient : « J’ai sorti une carte, regardé où ça se situait et je me suis dit que ‘de toutes façons, qui ne tente rien n’a rien’ et j’ai pris la décision de partir, soutenue comme toujours par mes parents même si il leur fut difficile de me voir partir si loin, si longtemps. C’était l’année 2000, celle qui a changé ma vie avec cette chance incroyable qui m’a été donnée. C’était l’année de mes grandes premières, mes grandes expériences de vie et de la découverte du milieu de la recherche ».
L’effet Hervé Fritz
Marion qualifie sa rencontre avec le chercheur de « déterminante » ; c’est lui qui la convainc qu’elle a sa place dans le milieu de la recherche et qu’elle peut devenir écologue : « Je me suis dit, ça existe : on peut travailler dans ce milieu-là, en faire son métier et en vivre ». Elle devient alors l’étudiante d’Hervé et réalise un double diplôme en faisant un master 2 recherche portant sur des données de dénombrement des grands mammifères du parc de Hwange (et qui sera validé en tant que 3ème année de son école d'ingénieur). Marion décroche ensuite une bourse de thèse et repart 3 ans (avec un autre étudiant en thèse, Simon Chamaillé-Jammes, qui allait devenir son plus proche complice, que ce soit dans sa vie professionnelle ou personnelle) faire ses recherches sur les éléphants de Hwange. The rest is history.
A propos des efforts fournis pour arriver où elle en est aujourd’hui, Marion reconnait que les relations fortuites y ont joué un rôle : « La recherche, c’est comme dans la vie : il faut travailler pour se donner les moyens d’atteindre ses objectifs, mais il y a toujours une part de rencontre, celle de la bonne personne, avec les bons conseils, et qui nous offre notre première chance ».
D’ailleurs, Marion rend la pareille aujourd’hui en prenant en charge des étudiants et étudiantes sur ses projets de recherche (un groupe international de 5 étudiants et étudiantes en thèse et 1 étudiant de master) ; plus qu’il n’en faudrait car il lui est difficile de refuser, mais toujours dans la limite du raisonnable pour que chacun et chacune puisse travailler dans de bonnes conditions et bénéficier de suffisamment de temps qu’elle leur consacre pour recevoir un encadrement de qualité.
Les interactions interspécifiques au cœur
Tous et toutes ensemble, ils étudient les grands mammifères africains. Marion précise : « je ne concentre pas mes recherches sur une seule espèce, c’est toujours une espèce en interaction avec d’autres, c’est le dénominateur commun de mes recherches ». Elle se spécialise dans les relations interspécifiques et environnement-espèces animales. Elle a commencé par observer les relations entre les éléphants d’Afrique et les autres espèces d’herbivores à Hwange dans le cadre de sa thèse. Ensuite, elle a réalisé ses post-doctorats au sein de la Wildlife Conservation Research Unit de l’Université d’Oxford (à nouveau grâce à deux belles rencontres : Andrew Loveridge et David Macdonald) sur les relations lions (prédateurs)-herbivores (proies). Aujourd’hui, elle conçoit des sujets de thèse pour ses étudiants et étudiantes, dont l’approche est similaire à la sienne et en essayant d’intégrer l’effet des activités humaines et des changements globaux (en particulier les changements climatiques) sur les interactions interspécifiques.
Observatrice des prédateurs
A travers le temps, ses recherches se sont teintées d’une coloration « prédation », avec deux grands mammifères africains qui ressortent : les lions et les hyènes tachetées.
Actuellement, Marion travaille en Afrique du Sud sur son projet FUTURE-PRED, financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et qui a démarré sur le terrain en 2021 dans le parc de Hluhluwe-iMfolozi ainsi que dans la réserve de Madikwe. Ce projet représente un travail de terrain colossal mené de main de maître par Yolan Richard, un assistant ingénieur hors pair. Elle analyse l’influence des conditions environnementales sur le succès de chasse du lion et de la hyène tachetée qui ont des tactiques de chasse différentes : le lion est plutôt un chasseur à l’affût (son succès de chasse dépend de la disponibilité de sites pour se cacher) et la hyène est un chasseur coureur (son succès de chasse dépend de la condition physique de ses proies). Les attentes sont donc opposées sur le succès de chasse des lions et des hyènes en fonction de l’avancée dans la saison sèche (moins d’herbe haute, ce qui signifie moins de possibilité d’affût pour le lion, mais des herbivores en moins bonne condition physique pour la hyène). Or, avec le phénomène actuel d’aridification croissante en Afrique australe, dû au changement climatique, si les hypothèses du projet se confirment, les populations de hyènes devraient mieux s’en sortir que les populations de lions.
A plus long terme, Marion espère pouvoir faire des ponts avec d’autres scientifiques qui explorent les mêmes sujets qu’elle, afin d’obtenir une vision à l’échelle continentale (Etosha en Namibie, Serengeti en Tanzanie), ce qui permettrait de voir si les résultats obtenus sont spécifiques aux sites de l’étude ou s’ils sont généralisables aux autres écosystèmes africains. Ensuite, Marion a commencé à envisager de mener des études similaires sur d’autres espèces de grands carnivores (loup, lynx) pour voir si les résultats obtenus sur les tactiques de chasse pour la paire lion-hyène sont généralisables à tous les grands mammifères prédateurs (pas seulement ceux d’Afrique). De telles études sont importantes pour comprendre les conséquences des changements climatiques sur les interactions prédateurs-proies centrales au bon fonctionnement des écosystèmes.