Du 21 au 23 mai 2024, s’est tenu le colloque "Sciences sociales et drogues en Afrique francophone : Diversification des usages, transformation des approches, organisé en collaboration par l’Institut de recherche pour le développement (IRD, TransVIHMI), le Centre régional de recherche et de formation à la prise en charge de Fann (CRCF), l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) et le Réseau scientifique des drogues en Afrique francophone (RESCIDAF) en partenariat avec le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar (CEPIAD), le Laboratoire d'études et de recherche - droits humains, droit des affaires, justice et éthique de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis (LER-DHDAJE) et le Harm reduction network (HARENE).
En 9 sessions et 2 tables rondes, ce colloque avait pour but de présenter des résultats et d'identifier des priorités de recherche sur l’usage des drogues et des addictions en Afrique de l’Ouest. Un sujet relativement peu exploré aujourd'hui par les chercheurs en Afrique. Cependant, au vu de la hausse de la consommation, et face à la menace sociétale et sanitaire qui ne se limite pas aux populations marginales, mais qui concerne aussi les individus et les collectifs de multiples espaces sociaux dans des sociétés africaines de plus en plus exposées à la mondialisation, la recherche dans ces domaines devient primordiale. Le secrétaire général du CRCF, Dr. Karim Diop a notamment évoqué une implication de plus en plus massive de la jeunesse dans la consommation de drogues.
L'augmentation de la production, de la diffusion et du transit des stupéfiants en Afrique, la diversification des produits et des usages, liées à la mondialisation des modèles culturels, constituent un défi pour la définition de politiques des drogues respectueuses des droits humains. Des centres comme le CEPIAD (Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar) proposent un traitement et une prévention par la réduction des risques pour les personnes usagères de drogues, mais la demande de soin reste importante.
Dr. Karim Diop, Secrétaire général du CRCF, "La jeunesse est de plus en plus impliquée dans la consommation de drogues."
Ce colloque a été l’occasion de faire un état des lieux sur la présence des drogues en Afrique de l’Ouest et d’observer les moyens qui ont été mis en place en matière de réduction des risques. L’Afrique de l’Ouest est depuis longtemps engagée dans la consommation de substances produites localement comme le cannabis. Mais cette région est devenue une zone de transit vers l'Europe de drogues en provenance de l'Asie pour l'héroïne et d'Amérique du Sud pour la cocaïne, ce qui a entraîné une consommation locale. Sur ce marché, sont également apparues, de nouvelles substances psychoactives ainsi que l’utilisation détournée des médicaments.
Plus particulièrement, le Sénégal, de par ses points d’entrée maritimes et terrestres, devient un pays de plus en plus exposé au trafic et à la consommation, au vu des saisies croissantes de stupéfiants (cocaïne, héroïne, cannabis), ce qui l’expose à de nouveaux défis. Le Pr. Amadou Gallo Diop, représentant du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation fait le constat chaque jour de saisies de différentes drogues, mais cela représente seulement une infime partie de ce qui circule librement dans le pays.
Pour répondre aux besoins de soin des personnes usagères de drogues injectables et de prévention, une initiative notable a été mise en place au Sénégal, le CEPIAD (Centre de Prise en charge Intégrée des Addictions de Dakar). Inauguré en 2014, ce centre est devenu un modèle pour la formation des professionnels de santé et pour l’ouverture d’autres sites dans les régions du Sénégal et dans les pays voisins. Des associations communautaires et une formation à l'addictologie ont vu le jour. En 2022, l'équipe du CRCF travaillant dans le cadre du projet CODISOCS (ANRS 12383) "Consommateurs de drogues injectables et dynamiques sociales au Sénégal", a créé un réseau scientifique des drogues en Afrique francophone (RESCIDAF) afin de développer les connaissances et les recherches dans ce domaine en impliquant tous les aspects sociologiques, anthropologiques, historiques, juridiques, économiques, épidémiologiques.
Le Sénégal est de ce fait, un pays pionnier en matière de politique des drogues pour ce qui concerne la formation, la recherche et l’intervention. Ceci a permis d'identifier les facteurs de succès et les difficultés de la prise en charge addictologique en Afrique de l'Ouest, qu'il s'agisse de facteurs individuels (isolement, troubles psychiques associés), sociétaux (faibles opportunités de réinsertion sociale sur le marché du travail) ou des contraintes structurelles locales (cadre légal/institutionnel inadapté et manque de ressources).
Pr. Amadou Gallo Diop, représentant du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, "On constate des saisies tous les jours de différentes drogues, mais, celles-ci, ne représentent qu’une infime partie de ce qui circule librement dans le pays."
Ce colloque, regroupant institutions et collectifs internationaux, a permis de faire émerger des messages importants et de nouvelles perspectives comme :
- La volonté d'identifier des équipes et chercheurs engagés dans le domaine et de mise en place d'espaces d'échanges entre scientifiques, chercheurs et équipes communautaires ;
- La nécessité de prioriser des axes de recherche en discutant avec les États, les organisations supranationales et les communautés ;
- La mise à disposition les résultats de recherches grâce à une plateforme Open Science dédiée à un niveau régional ;
- Le développement de formations en sciences sociales sur le sujet des drogues et addictions ;
- Le renforcement des liens entre les différents acteurs (chercheurs, communautés et décideurs politiques) pour favoriser les échanges de bonnes pratiques notamment autour de la réduction des risques ;
- La prise en compte des connaissances scientifiques dans la définition des politiques publiques et l'ouverture d'appels à projets de recherche.
FOCUS SUR ... La présentation du Dr Rose André Faye, Post-doctorante en anthropologie, CRCF, IRD, Montpellier-Dakar portant sur le sujet, « Drogues et réponses sensibles au genre au Sénégal : les besoins spécifiques des femmes sont-ils suffisamment pris en compte ? »
Le Dr Rose André Faye a fait le constat qu'au Sénégal, dans les services de réduction des risques seulement 10% à 20% des usagers de drogues sont des femmes. Cela vient du fait que les femmes consomment moins que les hommes, mais aussi que la majeure partie des programmes de réduction des risques sont adaptés aux besoins des hommes. Les femmes, dans l'impossibilité de maintenir la confidentialité dès lors qu'elles sont vues dans ces services, ne s'y rendent pas par peur d'être stigmatisées.
Pour pallier à cela, Dr Faye évoque la nécessité d’inclure les femmes dès la conception des services et interventions pour mieux prendre en compte leurs besoins, d’agir sur la vulnérabilité sociale et pas seulement infectieuse, de favoriser une réadaptation et autonomisation sur le long terme en proposant des approches plus efficaces.
Les participants au colloque ont développé des recommandations que l'on retrouve dans "L'initiative de Dakar face aux drogues en Afrique de l'Ouest" sur le site du colloque SCIDAF 2024, lancée à l'occasion de la Journée internationale contre le trafic illicite et l'abus de drogues, le 26 juin.