Les spécialistes des animaux venimeux, des envenimations, de leur prise en charge et des aspects culturels qui les entourent s’emploient à faire reculer le terrible bilan que ces accidents font peser sur les sociétés des régions tropicales en général et d’Afrique subsaharienne en particulier. Scientifiques et praticiens, de l’IRD, de la Société africaine de venimologie et leurs partenaires font le point sur le sujet tandis que l’OMS vient de lancer une importante initiative pour diminuer de moitié le nombre de victimes à l’horizon 2030.

Accident rarissime dans les régions tempérées, et dont les conséquences sont bien maitrisées par les systèmes de santé des pays développés, les envenimations représentent ailleurs un véritable enjeu de santé publique. Dans les zones tropicales en général, où la faune venimeuse est plus dense?Et les serpents plus grands donc délivrant de plus grandes quantités de venin lors de la morsure et les occasions de rencontre avec l’humain plus fréquentes, et en Afrique en particulier où perdurent des obstacles majeurs à la prise en charge des victimes, elles pèsent lourd sur les sociétés. Ainsi chaque année au moins six millions de morsures de serpents, occasionnant deux millions et demi d’envenimations?La moitié des morsures de serpent venimeux et les trois quarts des piqures de scorpion sont asymptomatiques, c’est-à-dire que la dose de venin injectée est nulle ou insuffisante pour causer des préjudices., coûtent la vie à 130 000 personnes et provoquent plus de 200 000 mutilations plus ou moins invalidantes, allant de la cicatrice disgracieuse à l’amputation d’un membre. Les scorpions, dont l’aire est plus circonscrite, sont quant à eux responsables annuellement d’un million et demi de piqures, provoquant 250 000 envenimations et 2 000 décès. Mais ces chiffres sous-estiment vraisemblablement beaucoup l’ampleur du problème, puisque la plupart des accidents ont lieu dans des régions rurales à l’écart des structures de santé et des statistiques, et ne font pas l’objet d’un signalement aux autorités sanitaires. Pour autant, le poids épidémiologique et socioéconomique des envenimations, et notamment celles liées aux ophidiens, est tel que l’Organisation mondiale de la sante les a ajoutées à la liste des maladies tropicales négligées, en 2017, et a proposé, dès 2019, une stratégie mondiale de prévention et de lutte contre ce fléau. Les spécialistes, de l’IRD et de la Société africaine de venimologie notamment, s’emploient à améliorer les connaissances sur le sujet, les protocoles de prise en charge des patients mais aussi à sonder les aspects culturels qui entourent les rapports entre les populations et la faune sauvage, à l’origine de fortes réticences à l’égard des soins biomédicaux en Afrique.

Tête d'un naja vue de face, avec le cou gonflé dans une posture apparemment agressive.

© Luca Boldrini - Flikr CC

Le Cobra cracheur à cou noir - Naja nigricollis -, de la famille des Elapidés, dispose d'un venin mêlant substances cytotoxiques, neurotoxiques et cardiotoxiques.

Face au péril ophidien

Afrique subsaharienne, Asie méridionale, Amérique centrale et du sud, Australie-Mélanésie, toute la zone intertropicale est exposée à une forte incidence des envenimations par morsure de serpent. Pour faire face au péril ophidien, tous les facteurs impliqués sont appréhendés par les spécialistes : les circonstances des accidents, les espèces venimeuses, le mode d’action sur l’organisme des différents venins qui leur sont associés et la prise en charge des envenimations et de leurs complications.

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Vue sur un village du Haut-Atlas, au Maroc, constructions traditionnelles avec toits plats terrasses, sur fond de montagne.

© IRD - Olivier Barrière

Vivant dans les jardins, dans les maisons, dans les villages et même dans les villes, les scorpions constituent une menace domestique, particulièrement pour les enfants.

Le scorpionisme, menace domestique

L’envenimation n’est pas qu’affaire de morsure. Avec les scorpions, elle est aussi le résultat de piqûres… Et si ces arthropodes venus du fond des âges tuent beaucoup moins que les reptiles, le poids du scorpionisme – c’est ainsi que l’on nomme les envenimations par piqûres de scorpion –, est un problème de santé publique pris au sérieux dans les sociétés concernées car les premières victimes sont les enfants en bas âge. Les recherches menées ont d’ores et déjà permis de limiter significativement la mortalité dans de nombreuses régions et les essais se poursuivent pour optimiser la prise en charge des envenimations sévères et de leurs complications spécifiques.

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Tête de mamba vert au premier plan, corps à l'arrière plan

© IRD - Jean-François Trape

Le mamba vert (Dendroaspis viridis) est un élapidé arboricole qui s’est bien adapté aux milieux anthropisés. Extrêmement rapide et disposant d’un puissant venin neurotoxique, il est à l’origine de nombreux accidents mortels en Afrique.

Antivenins, la première ligne de soin

Naguère tragiques et souvent fatales, les envenimations bénéficient aujourd’hui d’un traitement spécifique grâce à la découverte des ?Composante liquide du sang privée des facteurs de coagulation antivenimeux. Le premier d’entre eux, élaboré en 1895 par le médecin Albert Calmette?Également co-inventeur, avec Camille Guérin, du vaccin contre la tuberculose dirigé contre le pathogène responsable, le bacille de Calmette et Guérin (BCG), dans la foulée des travaux du pionnier de l’immunothérapie Louis Pasteur, était efficace contre un venin cobraïque.

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Groupe d'enfants africains très souriants.

© IRD - Philippe Bousses

La prise en charge biomédicale des envenimations, avec administration d’antivenin et traitement des symptômes, se heurtent en Afrique subsaharienne à des obstacles culturels et d’ordre pratique.

L’équation culturelle subsaharienne

Les morsures de serpents ne sont pas apparues avec l’invention des sérums antivenimeux et de la prise en charge biomédicale ! Depuis le fond des âges, les sociétés humaines, et particulièrement celles qui sont très exposées à la menace ophidienne, ont développé des représentations, des pratiques et des croyances autour des serpents et des envenimations qui perdurent pour certaines encore aujourd’hui. « En Afrique subsaharienne, ces systèmes culturels font pour partie obstacle à la prise en charge biomédicale, ou à son efficacité, et s’y substituent quand elle est défaillante, explique Jean-Philippe Chippaux, médecin et herpétologiste à l’IRD. Et si les travaux en anthropologie de la santé ne font que débuter sur le sujet, ils sont pourtant indispensables pour soutenir toute politique visant à mettre les soins appropriés à disposition de tous les patients. »

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