Les résultats de l’étude sur les survivants d’Ebola, obtenus grâce au suivi sur 60 mois de la cohorte?La cohorte PostEboGui a été financée par la Task Force Ebola France, l’Inserm, REACTing (devenu ANRS | Maladies infectieuses émergentes le 1er janvier 2021) et l’IRD. Il s’agit de la plus grande étude de suivi des survivants d’Ebola, menée en Guinée entre 2015 et 2018 par des chercheurs du CERFIG (Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée), de l’Institut national de Santé publique de Guinée, de l’IRD, de l’Inserm, de l’université de Montpellier et du CHU de Montpellier, coordonnée par Eric Delaporte et Abdoulaye Touré. PostEbogui, montrent que le taux d’anticorps dirigés contre le virus tend à diminuer, mais reste élevé pour deux tiers des survivants. Il augmente même chez certains d’entre eux, suggérant la persistance de réservoirs du virus dans l’organisme et interrogeant sur la mise en place d’un suivi adapté pour les survivants de la maladie d’Ebola. Ces résultats font l’objet d’une publication dans la revue The Lancet Microbe journal le 3 septembre 2021. 

L’épidémie d’Ebola, qui a sévi en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016, causée par l’espèce Zaïre du virus, a provoqué 11 000 décès. Plus de 17 000 personnes y ont toutefois survécu. C’est pendant ce grave épisode que la cohorte PostEboGui a été initiée. Plus de 800 personnes infectées par le virus ont été recrutées dans trois sites en Guinée à partir de mars 2015. Ces patients ont bénéficié de consultations régulières jusqu’à 60 mois après leur sortie du centre de traitement Ebola. Des précédents résultats de l’étude PostEboGui avaient montré la présence de séquelles quatre ans après l’infection aiguë chez trois survivants sur quatre. 

Pour cette nouvelle étude, les chercheurs se sont intéressés à la durée de l’immunité en suivant les variations au cours du temps des taux d’anticorps dans les échantillons sanguins prélevés chez 687 patients de la cohorte PostEboGui. Il s’agit de la première étude à évaluer ces variations sur un nombre aussi élevé de patients et sur un temps aussi long (60 mois). Parmi ces patients, 45 % étaient des hommes, 55 % des femmes et l’âge médian était de 27,3 ans (21 % avaient moins de 18 ans).

Les analyses ont montré que, cinq ans après leur sortie du centre de traitement Ebola, 76 % des survivants possédaient des anticorps contre un antigène?Antigène : molécule provenant du virus capable de déclencher une réponse immunitaire, notamment la production d’anticorps. particulier du virus (la glycoprotéine), 60 % contre deux autres antigènes (la nucléoprotéine et la protéine virale 40-kDa). Pour Abdoulaye Touré, co-investigateur principal de l’étude, ces résultats sont utiles : « Les anticorps dirigés contre la glycoprotéine persistent davantage dans le temps que les autres. Ce sont des données précieuses pour la conception de vaccins contre Ebola dans la mesure où les anticorps neutralisants, et donc protecteurs, sont dirigés contre cette glycoprotéine ».

Néanmoins, les chercheurs ont noté une diminution globale de la concentration en anticorps avec le temps : dans l’ensemble près d’un quart des sujets n’ont plus d’anticorps détectables après 60 mois. « Il sera intéressant de comparer la diminution de la concentration en anticorps chez les personnes ayant contracté la maladie à celle induite par la vaccination contre Ebola dans la population. Si un tel phénomène était observé cela pourrait poser des questions de santé publique sur l’efficacité de la vaccination sur le long terme en cas de nouvelle épidémie », rapporte Eric Delaporte, co-investigateur principal.

Chez certaines personnes, l’équipe de recherche a constaté des variations irrégulières des taux d’anticorps au fil des mois, voire qui augmentaient. De plus, la présence d’ARN viral dans le sperme des survivants était associée à des concentrations élevées d’anticorps dans le sang. Ces résultats viennent appuyer l’hypothèse de l’existence de réservoirs viraux dans l’organisme : ces virus internes pourraient être responsables de la re-stimulation immunitaire des patients sans qu’ils n’aient été réinfectés ou ré-exposés au virus dans le milieu extérieur. « Le risque est de voir de nouveaux cas d’Ebola provenir de survivants. C’est probablement ce qui s’est passé lors de la résurgence de la maladie en Guinée en janvier dernier, 5 ans après la fin de l’épidémie », ajoute Abdoulaye Touré.

Les chercheurs ont également observé des réactions croisées?Réaction croisée : réaction immunitaire qui a lieu lorsque des anticorps dirigés contre un antigène spécifique (du virus Ebola Zaïre dans ce cas précis) sont capables de réagir avec un antigène d’un autre pathogène (ceux des virus Ebola Bundiyo ou Soudan dans cet exemple). des anticorps des survivants de PostEboGui, exposés à l’espèce Zaïre, à d’autres souches (Bundibuyo et Soudan). Ces résultats ne permettent pas de savoir si ces patients sont protégés contre les autres espèces testées, mais ils pourraient guider le développement des candidats vaccins capables de protéger contre les différentes espèces de virus Ebola.

Les deux investigateurs concluent leurs travaux en alertant sur la nécessité d’un suivi adapté pour les survivants d’Ebola : « En l'absence de médicaments capables d'éradiquer les réservoirs viraux que l’on suppose, un suivi régulier et approprié et une éventuelle vaccination des survivants doivent être envisagés pour prévenir toute récurrence ou recrudescence de nouvelles épidémies d'Ebola ».


Référence : Mamadou Saliou Kalifa Diallo, Ahidjo Ayouba, Alpha Kabinet Keita, Guillaume Thaurignac, Mamadou Saliou Sow, Cécé Kpamou, Thierno Alimou Barry, Philippe Msellati, Jean-Francois Etard, Martine Peeters, René Ecochard, Eric Delaporte, Abdoulaye Touré, for the PostEbogui Study Group,Temporal evolution of the humoral antibody response after Ebola virus disease in Guinea: a 60-month observational prospective cohort study The Lancet Microbe, 3 septembre 2021.

Contacts : Eric Delaporte, directeur du laboratoire TransVIHMI, Abdoulaye Touré, directeur du Cerfig.

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