Dans un article paru dans la revue Science, plus de soixante experts internationaux de l'Earth Commission présentent les bases scientifiques pour définir la prochaine génération d'objectifs en matière de protection et de restauration de la biodiversité mondiale. Ils exhortent les négociateurs de la Convention sur la diversité biologique (CBD) à adopter un "filet de sécurité" composé d’objectifs ambitieux lors de la COP15 organisée en mai 2021 en Chine. 

Des évaluations mondiales récentes de la nature vivante et du climat montrent un fort déclin de la biodiversité. La CDB a récemment annoncé qu'aucun des 20 objectifs d'Aichi qu'elle s'était fixés en 2010 à Nagoya n'avait été atteint. C’est dans ce contexte que les pays négocient actuellement la prochaine génération d’objectifs mondiaux de protection et de restauration de la nature, pour 2030 et 2050. 

Jusqu’à présent, les propositions pour définir ces objectifs s’étaient concentrées sur des facettes individuelles de la nature, telles que les écosystèmes, les espèces, la diversité génétique ou les contributions de la nature aux personnes. Il manquait une vue unifiée sur la manière dont ces facettes sont liées les unes aux autres. Pour combler cette lacune, une équipe internationale de plus de 60 experts issus de 26 pays a étudié, évalué et discuté des propositions d’objectifs pour les écosystèmes de façon globale, sur la base des connaissances scientifiques empiriques et théoriques. Parmi ces experts figurent deux français : Paul Leadley, Professeur à l’Université Paris-Saclay, et Yunne Shin, chercheuse à l’IRD. 

Des objectifs multiples, distincts et ambitieux

Ce travail d’expertise de haut niveau a permis de produire une évaluation scientifique indépendante, d'une grande exhaustivité. Les scientifiques soulèvent deux points essentiels à prendre en compte pour fixer de nouveaux objectifs de protection de la biodiversité. 

  • Seuls des objectifs multiples et distincts permettront de considérer la nature dans sa complexité. "Réussir à renforcer la vision commune de la CDB – vivre en harmonie avec la nature – dépend de l’atteinte d’objectifs multiples, chacun correspondant à une facette majeure de la nature", précise Sandra Díaz, Professeure à l'Université nationale de Córdoba (Argentine), auteure principale de l’étude. "Construire un filet de sécurité suffisamment solide pour la nature sera un défi mondial majeur pour les générations futures". 
  • Seuls le niveau d'ambition le plus élevé pour chaque objectif et l’articulation des objectifs entre eux permettront d'inverser la courbe du déclin de la nature d'ici 2050. Il s’agit de combiner la stricte "absence de perte nette" avec des restaurations ciblées d’écosystèmes (tant sur les espaces naturels que sur les espaces gérés par l’Homme), une perte minimale des espèces, la conservation de 90 % de la diversité génétique et la sécurisation d'un large éventail de contributions de la nature aux sociétés humaines. Des objectifs moins ambitieux mèneraient à l’échec de la conservation des multiples facettes de la nature et de ses contributions à l'Homme.

"Des objectifs bien conçus doivent être très ambitieux, mais aussi réalisables. Nous fournissons les bases scientifiques nécessaires pour que les gouvernements sachent faire la différence entre une ambition faible et une ambition élevée", indique Paul Leadley, professeur à l'Université Paris-Saclay et auteur de l'article.

Afin de compléter ces recommandations scientifiques, les auteurs ont établi une liste de points clés que les délégations gouvernementales et autres parties prenantes à la COP15 en Chine pourront avoir à portée de main en mai 2021 lors des négociations des nouveaux objectifs de préservation et de restauration de la biodiversité. 

"Nous proposons des clés de lecture des différents objectifs de biodiversité, ainsi que des seuils chiffrés pour ces objectifs, afin que leur déclinaison au niveau national et territorial soient la plus tangible et effective possible. Cela constitue une amélioration significative par rapport aux objectifs d’Aichi", affirme Yunne Shin, directrice de recherche à l’IRD et auteure de l’article.
 


The Earth Commission est une commission scientifique qui regroupe une équipe mondiale de scientifiques de premier plan et cinq groupes de travail convoqués par Future Earth, le plus grand réseau mondial de scientifiques spécialisés dans le développement durable. La Commission de la Terre est la pierre angulaire scientifique de l'Alliance mondiale pour les biens communs. Sa mission est de définir un corridor sûr et juste pour les personnes et la planète et d'éclairer la définition d'objectifs scientifiques pour aider à maintenir les systèmes de soutien de la vie sur Terre : climat, terres, biodiversité, eau douce et océans.


Référence : Sandra Díaz et al., Set ambitious goals for biodiversity and sustainability. Science, 22 octobre 2020. DOI: 10.1126/science.abe1530 

Contacts :

Yunne Shin est directrice de recherche à l’IRD, au sein du laboratoire MARine Biodiversity, Exploitation and Conservation (UMR MARBEC). Elle est auteure coordinatrice de l'évaluation globale de l'IPBES publiée en 2019. Elle est membre du Conseil scientifique de l’Office Français de la Biodiversité (OFB).

Paul Leadley est professeur d'écologie à l'Université Paris-Saclay. Il coordonne un consortium interdisciplinaire de quatorze laboratoires "Biodiversité, agroécosystèmes, climat et société", qui étudie les transitions écologiques et agroécologiques. Il est l'auteur de l'évaluation globale de l'IPBES publiée en 2019 et membre du groupe d'experts multidisciplinaire de l'IPBES. Il a coordonné l'évaluation des Perspectives mondiales de la biodiversité 4 pour la Convention sur la diversité biologique en 2014 et a contribué à la récente publication des Perspectives mondiales de la biodiversité 5.   

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